9 janvier 2015

Haïti, ses séismes politiques et conséquences

haitilibre.com
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Voir Haïti « comme un risque de séismes politiques » est une erreur. Nous savons bien ce qu’est un risque. Danger éventuel plus ou moins prévisible. Comme beaucoup de pays, Haïti ne cesse de connaître des bouleversements politiques, dits séismes en raison de leurs dévastations. Ces bouleversements sont constants et la détruisent systématiquement. Dans ce cas, à l’aune des faits, peut-on vraiment parler de risque ? Non. Mais, plutôt d’une situation qui dégénère au quotidien. Pour faire comprendre cela, il est importe de faire le point sur les différentes crises qui désolent le pays depuis longtemps. Nous n’avons pas, ici, la prétention de reconstituer le passé avec tout son éclat d’antan comme pour nous en enorgueillir, alors que le pays est en trouble constant. D’ailleurs, ce passé qui enorgueillit plus d’un est marqué par l’esclavage, le colonialisme, la dictature et l’instabilité politique. On a même l’impression que ce passé est encore présent, puisque les crises dites actuelles sont les mêmes qu’autrefois, mais plus graves. En effet, l’histoire sociale haïtienne est tissée au fil d’une situation sociopolitique de plus en plus insoutenable et désespérée. Les crises y afférentes, pour certains, sont toutes génératrices de chômage et d’instabilité, et maintiennent le pays dans la misère. Jetons ensemble un coup d’œil sur ladite situation pour comprendre qu’Haïti est depuis longtemps secouée par des séismes politiques.

Crises systémiques

Les crises du pays sont avant tout d’ordre systémique. Elles se disent systémiques puisqu’elles sont liées au système politique qui s’identifie à l’État dans son mode de contrôle d’une société globale. On parle alors de crises systémiques quand le système se désagrège, et que sa désagrégation découlant de perturbations politiques constantes se combine avec d’autres facteurs y relatifs pour miner l’organisation sociale ou ronger le tissu des relations sociales. Ces crises, dans une évolution socio-historique, donnent lieu d’accuser impitoyablement les hommes d’État de prévarication, et s’aggravent au fil des jours dans la trame des bouleversements politiques. Elles succèdent si souvent à des phases de stabilité où l’organisation sociale se rétablit, quoique pour peu de temps. Parlant de crises systémiques, je vois des crises comme celles de 1843-1848, 1867-1870, 1908-1915 et 1986 à nos jours. Mais, il n’y a pas que celles-là. Nous vivons d’ailleurs dans une civilisation de crises où le déséquilibre structurel devient, pour la plupart, chaque jour permanent. Dans cette perspective, ces périodes de perturbations politiques conduisent à une plus grande crise, dite crise du système de société où elles affectent la vie sociale dans tous les champs. En d’autres mots, on peut parler de crise systémique généralisée ou multisectorielle, caractérisée, pour moi, par les mobilisations populaires, les instabilités politiques, les conditions de vie déshumanisantes, etc.

Mobilisations populaires

Les mobilisations populaires sont des éléments forts qui, pour moi, caractérisent les crises systémiques. Cependant, elles n’aboutissent pas toujours à des résultats adéquats. Les résultats sont souvent hors de proportion avec la cause, la réparation de préjudices subis, réels ou imaginaires. C’est pourquoi on peut, dans ce cas, parler de quérulence ou de délire de revendication. On peut aussi qualifier les opposants au pouvoir, pour la plupart, de processifs. Il arrive que les revendications sociales ou mobilisations légitimes puissent opérer des changements radicaux au niveau des appareils d’État. Mais, des mobilisations populaires dans un pays comme le nôtre, où les intérêts des plus faibles sont loin d’être pris en compte seront généralement tyranniques. Tyranniques, pour la simple et claire raison que pour Marx, les appareils d’État [sont] les appareils répressifs et idéologiques organiques d’une classe, la classe dominante, comme l’a montré le philosophe français du 20e siècle Louis Althusser dans ses travaux scientifiques sur Marx. En effet, pour comprendre mieux la dynamique des crises en Haïti, il faut une lecture bien scientifique, précisément sociologique, de la réalité, au-delà même d’une lecture « idéologique » des influences et des évolutions.

L’état des conditions de vie

En ces moments très agités, il peut être constaté que l’aggravation graduelle des conditions de vie est une caractérisation des crises systémiques et d’autres y affèrent, outre les mobilisations populaires. La question de la vie chère relie toujours les grandes crises du pays. Les moments aigus de rareté, de dépréciation de la monnaie et de hausse des prix des articles de première nécessité, résultent non seulement des crises, mais favorisent aussi la bourgeoisie et l’impérialisme économique international. Ce sont des situations désastreuses qui perdurent, et ceci, depuis longtemps. Jean-Pierre Boyer a déjà fait lui-même ce constat, dans une proclamation du 20 juillet 1837, que la rareté des objets de première consommation faisant hausser leur prix, a rendu plus difficile la subsistance du peuple (…). Aujourd’hui encore, des témoignages, des articles, des textes abondent sur l’acuité de la crise socioéconomique. En effet, à l’aune des faits, on ne peut vraiment pas parler de crises contemporaines, mais plutôt de crises perdurables ou chroniques qui ont, bien sûr, jalonné notre histoire. Haïti est constamment la proie de séismes politiques.

Vu la situation sociopolitique chronique d’Haïti, je me permets de parler, en gros, de « guerre de situations sociales », une expression de l’historien Auguste Magloire, au-delà des rivalités politiques que je qualifie de rivalités d’intérêts, mesquines et même sournoises. Ce ne sont pas des rivalités à faire bouger le pays. Ce qu’il faut plutôt, c’est, d’une part, l’esprit d’émulation : s’opposer, ou même s’acharner, tout en étant animés par le désir de s’égaler ou de se surpasser en mérite, en savoir et en travail. D’autre part, la polarisation des forces ou des influences des classes en conflits en vue de même entraîner Haïti sur la voie du progrès mécanique. C’est une utopie réalisable.

Éliphen Jean

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