12 juin 2015

Haïti en besoin d’État

www.radio-canada.ca
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Voici ce qui s’échappe si souvent de la bouche du peuple dont je suis : l’État, c’est nous. Impardonnable naïveté à laquelle aucun âge n’échappe que difficilement. L’État a plutôt toujours été « moi ». Ce moi représente ceux-là qui se font passer pour des gens ayant des lumières, de l’aisance et de la conscience, qui se disent personnalistes. Des gens qui, ne pouvant suivre l’ordre social ou s’y conformer, arrivent à s’emparer du pouvoir, en vue d’organiser la vie sociale en leur faveur. Ils constituent donc, comme l’a aussi vu Friedrich Engels, l’État qui est au fond, sous une forme condensée, le reflet des besoins économiques de la classe qui domine la production. Ils sont des gens qui prétendent alors faire ou pouvoir faire les affaires du peuple. Le peuple étant, pour moi, dispersé en des sphères particulières qui peuvent s’appeler « classes » et en individus.

En effet, cette classe qui aspire à la domination, qui parvient à maintenir l’État, en petit prince de Nicolas Machiavel, conquiert, en premier lieu, le pouvoir politique, le pouvoir souverain qui n’est subordonné qu’à lui-même. C’est le seul moyen de faire passer son intérêt propre ou ses ambitions pour intérêt général. Cependant, quand elle peut tout sur le peuple, les lois, de leur côté, peuvent tout sur elle. Mais, qu’arrive-t-il quand elle se contraint devant les lois ou quand ces dernières entravent sa puissance ? Elle conçoit de nouvelles lois, des décrets… C’est encore, ici, une de mes compréhensions de cette classe dominante qu’est l’État.

Par ailleurs, tenant compte de la théorie du concept d’État, le peuple ne devrait pas être tout à fait naïf, puisque l’État est considéré comme le regroupement de citoyens établis en permanence sur un territoire donné. Le peuple, ne constitue-t-il pas l’ensemble de ces citoyens ? Oui, mais un ensemble régi par un système politique déterminé relevant du droit international… d’où un paradoxe brutal, car, pour moi, ce système politique s’identifie encore à l’État. Ainsi, est-il sensé de dire que l’État, c’est nous ? Nous serions l’État, si et seulement si, le peuple renvoyait à la nation considérée dans son ensemble comme un corps politique organisé. J’invite donc, ici, à comprendre qu’une société humaine comporte deux éléments : un élément humain, la Nation, et un élément juridique, l’État qui commence à se former, pour certains, dès que se constituent des services publics.

Dire qu’Haïti est en besoin d’État, c’est aussi souligner qu’elle a besoin d’être un État de droit, comme défini dans le droit constitutionnel. C’est dommage que le pays, si je me fie à mes yeux, ne reconnaisse pas la primauté du droit. Société anomique. Matraquages politiques, cette opération destinée à convaincre la population par la répétition fréquente de promesses non tenues ou messages d’espoirs. Abus de pouvoir. Si s’assurait le règne de la loi comme l’expression de la volonté populaire, l’ordre social ne serait pas désorganisé, l’État (la classe dominante) s’instituerait alors arbitre impartial entre ses ambitions et l’intérêt populaire. Ainsi devrait-il en être d’Haïti dont l’ordre juridique ne reconnaît pas réellement la liberté, la justice, l’égalité…sauf un pluralisme politique anti-développemental et suicidaire.

Enfin, qu’est que c’est que l’État haïtien ? L’État haïtien est ce système politique, né de disparités idéologiques, et construit sur des ambitions politiques d’un petit ensemble d’individus égocentriques, cachés derrière le monstrueux paravent du nationalisme. C’est, en d’autres termes, cette classe sociale dominante qui produit ce système d’idées et d’ambitions qu’est le système politique, comme dirait Karl Marx, en vue de maintenir un pouvoir social et économique.

Eliphen Jean

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