Eliphen Jean

Libre malgré le froid dans cette ville

Douarnenez. Vue du port du Rosmeur

Bientôt l’été. Je deviens de moins en moins costaud. Je ne porte plus mes trois pulls. Je m’acclimate. Je suis un pauvre errant dans cette ville que le froid m’empêche de conquérir, en voulant faire de moi un casanier chronique. Cette ville Douarnenez où l’odeur des poissons me va droit au nez. Où le cri des mouettes m’empêche parfois de dormir. Cette ville de la Bretagne, métropole de la sociabilité humaine, est la ville de ma liberté. J’ai toujours rêvé de cette liberté. Comme j’ai toujours rêvé d’un vélo. Comme j’ai toujours rêvé d’avoir, à moi seul, une chambre.

Pour une fois dans ma vie, je suis plus libre que le chien. Dans cette ville, les chiens ont tous des colliers et sont toujours accompagnés de leur maître. Alors que là-bas, dans le pays natal de ma poésie, c’est plutôt les hommes qui auraient des colliers. Les chiens de mon pays errent seuls et librement dans les rues. Les hommes, non. Peut-être à cause des bandits, la faim qui tire à hauteur d’hommes, à bout portant.

A voir le lien affectif et puissant entre les chiens et leurs maîtres en Bretagne, je me demande pourquoi, chez moi, s’engueulent les hommes et les chiens tout le temps. Et bien voilà! Ce contentieux ne date pas d’hier. Napoléon apportait le 1er mars 1803, au Cap-Français (actuellement Cap-Haïtien deuxième ville d’Haïti) des chiens cubains, égaux des plus grands lévriers écossais ou russes, pour chasser les escvlaves. Ces chiens passaient d’instrument d’intimidation à celui de lutte et de répression contre les marrons. Les chiens et les hommes n’ont jamais été des amis.

Pas comme chez moi, les chiens d’ici n’aboient pas sur les passants et respectent les immigrés. Mais le froid, pour moi ici le seul raciste, n’a pas de pitié.

Toutefois, cette liberté, je n’ai pu l’avoir pleinement en Haïti qu’entre les lignes de mes cahiers d’écoliers, premières ruelles de mon enfance.

Éliphen Jean
en résidence d’écrivain en Bretagne

 


Haïti et les attentats de l’impérialisme

Tensions et manifestations a Port-au-Prince
Tensions et manifestations a Port-au-Prince

Les multiples valeurs qui fondent Haïti se dévaluent en faveur d’une démocratie qui ne colle pas. Les gouvernements, tous de mouvance despotique, adoptent des mesures d’exception qui réduisent les libertés citoyennes. Des gouvernements dont l’objectif est de rester au pouvoir à s’en rassasier jusqu’au dégoût. Des dirigeants virtuoses de la politique politicienne, des politicards vautours qui ne peuvent émaner que du fumier social.

La jeunesse comme fer de lance de la nation, doit, aujourd’hui plus que jamais, endosser les habits de soldats de guerre, contre les attentats de la colonisation, de l’impérialisme culturel et économique, contre tout un système de gouvernance politique, complice de cataclysmes et des fléaux de tout genre, qui maintient le pays dans le fouillis inextricable de ses crises. Crises qui paupérisent jour après jour les classes déjà défavorisées et le prolétariat.

Ne serait-ce que pour une cause commune, la jeunesse qui ne se fanera pas sur le fumier de la misère, à moins que ce soit pour son fruit qui doit être d’enlever son pays sous  le pesant harnais de l’occupation, proclamera un jour qu’Haïti est en nécessité de se défendre contre toutes ces formes d’attentats, contre la gérontocratie et cette démocratie paralysante, en mettant au goût du jour ses valeurs et ses forces, et de s’affirmer dans la lutte pour une nouvelle forme de société, une société évoluée.

Une détermination froide ne saurait mieux combattre les attentats dont il est ici question, les multiples crises dont le maquis terrifie la jeunesse montante, et la gérontocratie que je qualifie de primitive. Il faut une affirmation massive, des actions citoyennes positives et des discours logiques nuancés de valeurs élitaires. Ces discours ne doivent pas être la répétition angoissante et presque mot à mot de termes ou propos qui font rêver.

Peut-être par peur d’un naufrage collectif, ce qui n’est pas fondamentalement le cas, il faut cette posture martiale, des mesures d’engagement citoyen s’adressant à l’international pour dire qu’Haïti peut voler de ses propres ailes si l’on mise sur la force et les valeurs de la jeunesse. La jeunesse est le privilège incessible de la société, sa fine fleur, l’espoir du fumier social. Ces mesures s’adresseront aussi bien à ces classes dirigeantes, tracassières et frondeuses, que j’estime inamovibles depuis deux siècles déjà. Deux classes dirigeantes, à mon sens : la classe de l’opposition et celle au pouvoir. Je dirais plutôt deux classes au pouvoir. Enfin, autant de mesures qui doivent aussi s’adopter contre les écarts dramatiques du droit en faveur d’une constitution faite de lois qui semblent respectueuses pour la population haïtienne.

Si la jeunesse ne s’implique pas, si la jeunesse ne s’affirme pas au prix même de sa vie, il y aura toujours ce doute d’un progrès social, politique et économique possible qui s’instille jusqu’à confortablement s’installer dans les esprits. La caractéristique essentielle des mesures d’engagement est de relever de la conscience citoyenne, de cette reconnaissance d’appartenir à une même nation, et de voir Haïti comme une tâche à accomplir ou achever, comme un héritage légué par la gérontocratie dirigeante qui n’a jamais su jouer efficacement son rôle.  Et s’il faut périr, ce doit être par l’engagement à défendre sa nation et à la revitaliser, non par faute de connaissance, de conscience ou par indifférence.

Par ailleurs, ces mesures à adopter s’identifient à l’état d’urgence qui doit être la suspension du pouvoir populaire caractérisé par les manifestations souvent sanglantes, une régulation ou surtout une limitation des partis politiques qui n’ont aucun projet de société. La question à se poser est : pourquoi tant de partis politiques sans un tel projet? Ils s’identifient tous de gauche et de droite, ils augmentent au fil des ans, ils participent tous aux élections, rien que pour bénéficier du budget qui est disposé pour les campagnes électorales. Autant d’argent qui aurait mieux servi à créer des emplois, à créer des entreprises d’Etat… contre les ONG qui viennent carburer à la fortune.

Nul ne contestera, bien sûr, qu’Haïti est un pays fort et puissant, tenant compte de sa culture et tout ce qui fait de lui l’appât des Etats-Unis et de la France qui le colonisent encore. On devrait au moins douter que la colonisation puisse combattre réellement la pauvreté du colonisé, si ce n’est pour se pérenniser ou se fortifier. D’où l’ironie de l’assistanat international.

Toutefois, tout un risque est à reconnaître. Celui de ne pas mettre en danger les valeurs, le pays, au lieu de les défendre, au lieu de défendre réellement le pays contre les attentats de l’impérialisme. L’assistanat international, les ONG qui se nourrissent de la pauvreté du pays, ne font que l’enfermer jour après jour dans un piège mortifère : devra-t-il, par souci de développement, au nom de la défense démocratique et des accords diplomatiques  ou complomatiques1, abandonner un à un les principes qui l’ont fondé depuis plus de deux siècles déjà ?

Les grandes puissances nous mettent tous dans un nœud coulant où toute progression vers la victoire est impossible, où la fatalité a raison de nos capacités d’agir. Nous ignorons tous que nous désunir ou rompre l’unité nationale, est un point accordé aux colonisateurs insatiables, une béance offerte à leur rapacité.

 

Eliphen JEAN

1- Accords diplomatiques qui ne sont pas en faveur du pays…


Haïti en nécessité d’un renouveau

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Haiti elections

Il est temps de passer à autre chose. Haïti a besoin d’une élite politique qui incarne son avenir, le renouveau politique dont elle a impérativement besoin. Haïti périclite sous nos yeux. Elle se consume et s’aveulit considérablement sous le poids du dénuement, et aucune élite dirigeante ne semble désespérer de n’avoir jamais su faire bonne figure, et réussir à remembrer les appareils de l’Etat.

Après tant d’années où les fléaux de tout genre tiennent les rênes du pays, tant d’années de présidence invariable, observons le bilan global – sous l’investigation d’un regard citoyen – en terme d’emploi, de chômage des jeunes non-licenciés et licenciés, de croissance économique… et disons-nous, avec une conscience humainement citoyenne, qu’il est vraiment temps de passer à autre chose. Nous sommes un peuple qui vit obscurément en enfer. Et, pour dissiper les flammes sulfureuses qui assombrissent nos jours, il faut de nouvelles vagues, un ouragan à bousculer tout sur son passage. Ce sera la fin d’un système nul, la fin d’une gouvernance immature, la fin d’une mauvaise façon de gérer les préoccupations des Haïtiens.

Les candidats de différents et innombrables partis politiques, à tous les postes électifs, plus particulièrement à la présidence, prononcent des discours basés sur rien, mais donnant l’impression d’être basés sur tout, des discours vibrant de dynamisme, avec des idées qui semblent claires, des projets qui semblent ambitieux. Ils ont toutes les chances d’être élus. Pourtant Haïti a besoin d’un renouveau. Pourtant la jeunesse qui incarne la diversité de l’île, a besoin d’une élite qui puisse se mettre, en toute liberté, à portée d’orbite de son système solaire, pour comprendre la chaleur de ses rêves, ses ambitions, ses désirs.

La Gauche et la Droite n’existent pas. Le Pro et l’Anti n’existent pas. C’est la même pièce de monnaie avec ses côtés pile-face. Cependant les électeurs continuent à se fier aux pros et aux antis qui sont tous des opposants, avec leur couteau en mains, luttant pour la plus grosse tranche du gâteau. Quelle coupe d’orgeat intarissable qu’est le pouvoir ! Le peuple s’y fie au mépris du bon sens et de la raison. Peut-on dire que les électeurs n’ont jamais fait un bon choix ? On ne sait pas. Car, ils sont, pour la plupart, des rongeurs, à la solde des rapaces. Ils sont payés pour leurs votes, et ils votent les meilleurs rémunérateurs. Ce sont plutôt les innocents qui ne font jamais un bon choix. Ces électeurs innocents n’ont pas jamais été clairs. Ils veulent enfin de la clarté. Ils veulent que les votes cessent de se payer, pour qu’enfin les leurs aient leurs effets et le poids qu’il faut dans la balance électorale.

Le renouveau dont Haïti a besoin, doit illustrer la clarté de la parole politique. Un renouveau incarné par une élite honnête et transparente – peut-être qu’elle viendra du ciel – qui saura défendre les valeurs, les principes, les convictions et les patrimoines. Tout est ici question de loyauté, de respect des électeurs, de respect à l’égard des Haïtiens, et de cette capacité d’écouter ce qu’ils ont à dire, de passer du temps avec eux, et de comprendre leurs problèmes. C’est ce respect et cette capacité qui limiteront les manifestations populaires sanglantes et constantes.

Il est temps de passer à autre chose. Il faut une vision de l’avenir. Sans une vision de l’avenir de l’île d’Haïti, sur quoi va-t-on le bâtir ? Les situations sociopolitiques, les agitations sociales incessantes, vues comme spectrales, sont, en elles-mêmes, des gribouillages de l’avenir sur le front de la jeunesse. En tient-on réellement compte Et si ce n’est pas le cas…

Il est aussi temps de comprendre que c’est dans le dynamisme économique, dans la création d’emplois, dans la capacité de se battre et de réussir, dans la capacité de se soucier de la jeunesse et de s’investir en elle, qu’Haïti pourra tirer profit de ses atouts.

Éliphen JEAN


Dakar mon amour, je suis pédé si tu es un homme

Lorsqu’il m’était venu le temps de prendre l’avion, j’ai répondu à ceux qui me demandent raison de mon voyage, que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche… et que c’est bien de se laisser surprendre par les jours qui viennent.

Un voyage s’inscrit simultanément dans l’espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale, disait Claude Lévi-Strauss. C’est aussi un exercice profitable qui consiste, à mon sens, à découvrir des choses nouvelles et inconnues. Cela permet de connaître d’autres peuples, d’autres cultures et d’autres vies. Toutefois, je n’ai pas autant pensé, autant existé, autant vécu, non plus autant été moi-même, si j’ose ainsi dire, car je n’ai pas fait ce voyage seul ni à pied.

Comme j’ai voyagé en avion, j’ai eu raison d’imaginer des avatars… c’est le pessimisme de ceux qui voyagent, comme moi, en avion pour la première fois. Et, Charles Baudelaire me chuchotait ses vers à l’oreille :

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !

Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,

Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :

Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

 

Mais, étudiant l’homme par rapport au temps, j’admets volontiers que voyager peut calmer ses peines et que c’est l’antidote du souci.

Sénégal,

Je suis de cette terre, ce pays dont la misère n’altère pas la beauté. Je suis d’Haïti, ce pan exilé de l’Afrique. Je suis de l’Afrique. Je viens de loin pour arriver jusqu’ici. J’ai survolé l’Amérique et l’Europe… Mais inquiet comme le flamant rose survolé par le busard. Je m’imaginais tellement des avatars… je n’ai pourtant pas eu peur. Les malaises créés par les turbulences se coulaient bien dans le stéréotype des petits repas simples et cordiaux servis avec bonhomie…

Sénégal, j’étais très heureux de te connaître. À peine arrivé sur ton sol, j’ai tressailli comme d’un frisson patriotique. Jai perdu mon sang-froid. J’ai senti céder le fil de mon cœur. Mon cœur est allé se cacher entre mes orteils…

Dakar est si belle ville… Dakar est si belle fille. Je me demande quelle contrée, quelle région ne serait agitée du désir de vivre son charme. Sa beauté qui fait craquer les insensibles. J’aimerais y vivre toute ma vie, j’aimerais vivre à l’étendue paradisiaque dont elle est une région.

J’ai laissé ma terre. Je suis parti vers mes origines. Je voulais prendre racine dans une nouvelle aventure de maturation… Je me ressourçais donc en ton sein, comme un moine dans la solitude d’un monastère.  Et, j’aimerais le faire chaque jour.

En dix petits jours, en dix petits siècles, en un cercle de jours, tu me gâtes déjà. Tu me deviens vite indispensable.  Tu me gâtes avec les cris de tes chèvres, tes moustiques qui ne piquent pas fort, tes mers propres et légères, tes plats raffinés et tes cocktails rafraîchissants… le chant de tes oiseaux que j’écoutais avec émerveillement. Ton île de Gorée pour laquelle Haïti m’est devenue ex-île. Et aussi, le musée de Léopold Sédar Senghor dont l’intérieur a quelque chose d’alchimique et de magique, le pittoresque du monument de la renaissance africaine où mes pieds m’ont porté sans se lasser. Et, comme dit le message d’Abdoulaye Wade, je pense et je penserai toujours à tous les sacrifices qui ont arraché l’Afrique à l’obscurité pluriséculaire, pour la propulser dans la lumière de la liberté.

monument de la renaissance africaine

Crois-moi, si la pureté est la sublime maîtresse des valeurs paradisiaques, passer un séjour à Dakar, c’est me faire purifier par la respiration paradisiaque de l’univers… Dakar est si belle ville, Dakar est si belle fille.

Et si Dakar est un homme ? Sincèrement, je te l’avoue, je serai pédé…

Éliphen Jean


Haïti sous le joug de la superstition…

Jusqu’à quand cesserons-nous d’avoir une conception atavique des choses ? Notre atavisme culturel nous prédispose toujours à l’idée que tout ce qui nous arrive est surnaturel, nous ne tenons donc pas compte de la scientificité des faits. C’est, en fait, de la superstition. Un comportement irrationnel, généralement formaliste et conventionnel, vis-à-vis de l’insolite et du bizarre, et, dans un certain contexte, une attitude religieuse considérée comme vaine. Ce comportement semble n’être autre chose que des préjugés contraires à la raison.

En effet, la superstition qui consiste toujours à expliquer des effets véritables ou scientifiques par des causes surnaturelles, torture sans relâche l’esprit de l’Etre ayisyen, et a un impact considérable sur la créativité qui, chez nous, comme dans les sociétés occidentales, devrait symboliser la réussite, la modernité et l’attrait pour la nouveauté, et qui transmettrait une image de dynamisme. Mais, il arrive que notre société soit loin de s’embarquer dans la quête de l’innovation et du progrès, tant elle est superstitieuse. Alors, pour comprendre cet impact, j’invite à juger la société haïtienne à ses bruits, son art, ses us et coutumes, ce qui aussi, dans une large mesure, aidera à comprendre les faits ou phénomènes culturels haïtiens.

Faisons une mise au point de quelques faits culturels pour comprendre cet impact

Si un paysan se trouve en altercation avec un autre, peut-être dans le même voisinage, et qu’il lui arrive d’avoir le même jour une migraine, il préférera voir un houngan ou un docteur-feuilles, une personne qui prescrit des remèdes naturels qu’il prépare lui-même. Il pourra même jeter des sorts sur son adversaire qui ne sait peut-être rien de sa migraine… Naturellement, dans la paysannerie, quand on est malade, on a recours d’abord au fétichisme. Dans ce cas, l’impact de la culture ou ce phénomène culturel qu’est la superstition est lié au fait que les hôpitaux dans les milieux paysans reçoivent de moins en moins de patients. Qui sont généralement les patients dans ces milieux ? Les paysans qui n’ont pas cette chance d’être, pour la plupart, scolarisés, qui continuent de croire que les pluies sont pleurs des anges que le tonnerre effraie…

C’est la croyance aux présages, aux signes

En effet, les phénomènes culturels, la superstition concourent à priver notre société du sens de créativité et à l’empêcher d’évoluer. Et les faits sont là. Ils militent en faveur de l’idée que ces phénomènes ont un impact grave sur la créativité, sur la vie des gens.

Voyons ! Si on veut qu’une boutique reste fermée toute une journée, on n’a qu’à placer devant les portes de cette boutique ses batteries de fétiches composées d’une bouteille de rhum vide ou remplie, d’une corde de paille, d’une bonne poignée de maïs grillé, de quelques pièces de monnaie… Le propriétaire de cette boutique devra d’abord voir un houngan ou évoquer des Esprits. S’il est un bon protestant, il lira des psaumes…

Si l’on vend au marché, il y a des choses à faire si l’on ne veut pas que son argent disparaisse à chaque article vendu. C’est drôle, hein ! Mais, c’est bien vrai. Et, si l’on veut avoir beaucoup de clients, il y a aussi des choses à faire, comme enterrer des animaux, des bouteilles de sang ou vides… placer des batteries de fétiches à l’intérieur de sa boutique ou son entreprise, etc.

Si quelqu’un vient chez soi sans y être invité, au moment du repas du midi, et qu’on ne veut pas lui servir à manger, on n’a qu’à mettre en croix les couteaux, les fourchettes, et renverser la salière. Ce quelqu’un ne mangera pas même s’il a mortellement faim, à moins qu’il ignore tout de la culture haïtienne ou qu’il soit lui-même un mystique.

La société haïtienne est superstitieuse, et la superstition se voit aussi comme la croyance que certains actes, certains signes entraînent, d’une manière occulte et automatique, des conséquences bonnes ou mauvaises. C’est la croyance aux présages, aux signes… Ainsi, dans ce contexte, on refuse de passer sous une échelle. Les enfants ont peur de marcher avec une seule sandale, de peur qu’ils n’entraînent la mort de leur mère. Quand on balaie, on évite de passer le balai sur les pieds des célibataires, sinon ils ne pourront pas se marier. On évite de passer sous les jambes de quelqu’un quand on est enfant, sinon on cesse de grandir. On n’ouvre pas un parapluie à l’intérieur d’une maison, car ça porte malheur. Quand on a la paume de sa main gauche qui lui démange, on va sûrement avoir de l’argent. Quand un chien aboie la nuit, c’est qu’il voit un loup-garou, un sorcier, un malveillant, un « lève-mort », quelqu’un qui ressuscite les morts au moyen d’un certain rituel du vodou… Les chiens haïtiens sont dotés de cette capacité de voir l’invisible. Ouf !!! N’importe quoi !

Les stéréotypes causent la mort de beaucoup d’innocents.

Ces phénomènes ne se connaissent pas seulement dans la paysannerie… car la culture n’est pas paysanne, mais plutôt haïtienne. Ils se connaissent partout, même dans la classe, dite haute classe, à la seule différence que dans cette classe, on préfère les rituels maçonniques, rosicruciens… quand il faut exorciser un démon, faire du mal à quelqu’un ou s’en venger, etc.
Par ailleurs, une telle culture semble réductrice de la réalité des phénomènes naturels et simples, réductrice des singularités, surtout quand elle est pétrifiée, stéréotypée dans ses formes. La société a donc besoin, pour évoluer, d’affranchir son esprit des schèmes négatifs et stéréotypes culturels…

C’est triste de voir à quel point les stéréotypes causent la mort de beaucoup d’innocents. Qui sont ces innocents ? Ce sont les vieillards laids, et barbus (pour les hommes), les chats et chiens tout à fait noirs ou blancs, les nains… On les considère comme des malveillants, loups-garous ou lycanthropes. C’est généralement des vieillards paysans. Si dans les mythes, les loups-garous sont des hommes transformés en loup, chez nous, ils peuvent être aussi, des hommes transformés en chat, en chien, etc. C’est pourquoi les vieillards ont peur de marcher le soir quand les rues sont vides de gens, et sans se faire accompagner par quelqu’un de jeune; sans quoi, ils risquent de se faire tuer à coups de machette. C’est pourquoi aussi on ne laisse pas son chien noir ou son chat noir errer le soir dans les rues…

Mais, en dépit de l’impact négatif des phénomènes culturels, ce n’est pas trop idiot d’y croire. Les stéréotypes, ceux dont il est ici question, naissent d’une réalité culturelle complexe. Il arrive que des gens puissent se métamorphoser en bêtes, user des batteries de fétiches… Il arrive bien cela. D’aucuns savent en voir de leurs propres yeux.

Eliphen Jean


Haïti ou le paradoxe du normal

Mon p’tit pays, le pays où tout se mêle, alterne et fusionne. On n’a pas à faire travailler sa matière grise, peut-être de peur qu’elle ne devienne noire… D’ailleurs, trop d’esprit et d’intelligence nuisent. Bref ! Ici, on est doué de la plus remarquable intelligence, l’intelligence associative.

Vous avez besoin de détails ? Je le sais, vous êtes friands de buzz. Ben, voilà !

Dans ce pays, c’est la mentalité de « qui se ressemble s’assemble. » C’est un pays où tout ce qui brille est or. Et, ceci, même en politique ! Le peuple aime le président Martelly dit « président TÈT KALE » (Tête rasée) , tous les militants politiques qui se rasent la tête bénéficieront de l’amour du peuple. Alors qu’il est fort probable que ce soit des militants opposants.

Voyons !

Le patron ou la patronne envoie sa servante au marché. Elle doit acheter du riz. Arrivée au marché, elle est en face de plusieurs types de riz différents, et elle oublie ce qu’elle doit choisir. Elle n’a pas à se casser la tête, elle achète n’importe quelle sorte, pourvu que les sacs soient de la même couleur. A l’instar de la patronne, elle achète le riz le plus coûteux, le plus coûteux est souvent le meilleur… mais, ce qui est marrant, le vendeur intelligent n’a qu’à hausser le prix du soi-disant mauvais riz, un p’tit jeu qu’on fait aux servantes qui ne savent pas lire. Donc, si pour la servante, c’est le même riz dans tous les sacs puisqu’ils sont de la même couleur, pour le vendeur, les riz sont aussi de même qualité, car ils proviennent tous de la terre. Tous les riz doivent alors se vendre.

Pratiquement, dans mon pays de miel, quand un conteur va dire son histoire, il dit : « cric ! », et l’on répond : « crac ! ». Mais, je ne vous dirai jamais cric ! Car, sans blague, on a, ici, des raisons d’être fiers d’être Haïtiens.

Moi, étant vrai haïtien, je n’ai pas à être vexé quand mes amis blancs se targuent de leur pays qui produit des voitures ou véhicules de marque. Je n’ai pas à être vexé, car, mon pays a de très bons mécaniciens qui produisent des voitures de marque indéfinissable. Il reste au gouvernement d’en faire promotion et d’en exporter quelques-unes.

Cela vous étonne qu’Haïti produise des voitures ?

Mais, bien sûr ! Haïti se développe. Venez et vérifiez. Sur dix voitures qui roulent, vous en trouverez au moins cinq de marque haïtienne. Des voitures ainsi fabriquées : la portière de gauche est Mazda, celle de droite est Toyota, la carrosserie peut être Nissan, le moteur est Isuzu, etc. Une partie de chaque marque étrangère. Et, voilà ! C’est tout à fait o-ri-gi-nal. Il arrive aussi ce cas où l’on transforme sa voiture à quatre portières en tap-tap ou camionnette, pour le service de transports en commun quand rien plus rien ne va.

hpnhaiti.com
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Parlons un peu santé !

Si vous êtes malade, et que vous ne voulez pas moisir à l’hôpital, Haïti a de très bons médecins. Vous êtes une femme qui ne veut pas faire attendre son mari qui doit être revenu, affamé, de son bureau, vous êtes à l’hôpital pour cause d’infections vaginales, vous n’avez qu’à ouvrir ou laisser le docteur ouvrir votre appareil à deux tranches bien joufflues, et d’un coup d’œil, il vous prescrit vos antibiotiques. S’il est galant ou « vivant », il n’à qu’à vous persuader que c’est important qu’il vous passe une serviette mouillée d’une eau que vous pensez différente de celle que vous buvez. Un p’tit job que pourrait bien faire votre mari qui croit que sa bonne femme préfère toujours les analyses médicales. Hélas ! La voix du médecin est la voix du Bon Dieu, comme aussi celle du pasteur. On s’en fout de cette question d’analyse. D’ailleurs, si vous étiez plus gravement atteint, vous seriez en salle d’urgence… Et après consultation, vous n’oserez pas oublier de laisser votre numéro.

Et si vous voulez moisir à l’hôpital, faites-vous accompagner de votre mari ou votre petit ami, et préférez les analyses médicales.

Le paradoxe de l’emploi

Dans le bas peuple, tout le monde cherche un emploi, mais on a, pour la plupart, peur de travailler. La raison est que, quand on trouve de l’emploi, les autres membres de la famille n’ont pas besoin de travailler. On s’imagine alors le chanceux de la famille avec son premier boulot. Il va nourrir une famille où les enfants constituent un véritable escalier sans paliers, tellement ils naissent. Pire, on représente les rampes de bois pourri ou de fer rouillé de cet escalier.

Mais, Haïti reste un pays de miel. On n’a pas de taxe à payer comme aux Etats-Unis. On conduit sans permis, on brûle les feux rouges, on n’à qu’à cracher dans la main d’un policier un billet de 100 G. (environ 2 US), puis on s’en va. Un chauffeur intelligent saura se munir de billets de 100 G.

En tout cas, j’ai beaucoup à dire… je vous reviens.

Eliphen Jean


Haïti en flammes

Le panorama social et sociologique haïtien se déroule, sinistre, comme l’incendie de l’explosion démographique déroule son ardente spirale autour des mornes. Un incendie dont chaque arbre est un brandon, c’est-à-dire un débris enflammé qui s’échappe de cet incendie. C’est comme la vie qui se déroule aussi, toujours pareille, avec la mort au bout…

Cet incendie fait rage au fil des jours. Il fait rage au mépris des braisiers de l’écologisme et de la législation y relative. Les normes juridiques de construction qui doivent aussi jouer le rôle de gicleurs d’incendie sont ignorées par certains, et inconnues chez d’autres. Et les nantis, et les gens à faible économie construisent dans les mornes qui constituent le pittoresque même du pays. Ce serait abusif de dire que tout système de législation, pour être puissant, nécessite un système d’éducation, car ces gens dont il est question sont pour la plupart éduqués.

Voilà, ici, une vue panoramique d’une île en proie à une crise d’asthme, avec son atmosphère d’étuve qu’on ne retrouve pas souvent même dans les pays équatoriaux.

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Haïti n’était qu’une île nichée dans un écrin de verdure. Jadis, lorsque le soleil était de plomb ou qu’il faisait très chaud, j’allais à la campagne prendre un bol d’oxygène… Je me délectais à regarder les enfants folâtrer comme des poissons dans les rivières qui s’agitent dans les pierres entre les arbustes fleuris, je m’amusais à faire la cour aux oiselets, aux hirondelles qui chantent, gazouillent et trissent, et qui rasent le sol avant l’orage. Où sont aujourd’hui ces hirondelles pour m’annoncer le printemps, comme les premiers jours de mars ?

uic.edu
uic.edu

Aujourd’hui, la vie agreste et rustique est d’enfer. Cette île s’asphyxie, par manque d’oxygène. Les arbres sont trop coupés. Ils ont peur de pousser. Les gens en ont besoin pour faire du charbon de bois ou pour construire des maisons. Les montagnes se déboisent. Les gens ont besoin d’espace pour construire. Ils ont besoin aussi de la terre et de la pierre ; alors, ils concassent les mornes. Le déboisement se fait à outrance, ce qui expose le sol aux phénomènes d’érosion. Et, à cause de ce phénomène de déboisement occulté aussi par la mythomanie de l’Etat, le climat est d’une lourdeur irrespirable, il devient plus tropical que les tropiques.

Les crêtes dentelées qu’on peut encore deviner sous les flancs bien enveloppés des montagnes, les indentations, les échancrures… disparaissent. La faune, comme la flore, qui fait l’intérêt constant du paysage s’éteint peu à peu. L’avifaune, qu’on appelle aussi la faune ailée puisqu’elle désigne l’ensemble des oiseaux, tend à disparaître. Les oiseaux n’ont presque pas où se poser. Ils n’assistent guère au concert des étoiles…

Par ailleurs, ne serait-il pas vital ce que j’appelle « une politique de l’environnementalisme » ou de prôner l’environnementalisme haïtien, comme c’est le cas des Etats-Unis et de tant d’autres pays? La réponse doit être oui. Il est vital de faire appel à l’écologisme dans le cadre d’une politique de développement économique.

Mais, un jour, à défaut de mesures contre cet incendie, Haïti pourra ne plus signifier « Terre haute, terre montagneuse ». Cette terre pourra connaître des spasmes plus épouvantables qu’en ce 12 janvier 2010. Ainsi, promouvoir l’écologisme n’est-il pas antispasmodique ?

Eliphen Jean


Haïti, malgré tout

elphjn01.mondoblog.org
elphjn01.mondoblog.org

Haïti, jadis perle des Antilles, se trouve depuis si longtemps vouée sans appel à la platitude… J’en ai déjà fait mention dans un article. C’est, autrement vu, un déshonneur qu’est condamnée à vivre la communauté antillaise en raison de la pauvreté. Cette île n’est pourtant pas le seul pays pauvre en Amérique centrale ou dans les Caraïbes. Il y en a d’autres, plus pauvres.

Je reconnais que si vraiment l’histoire est faite de progressions et de régressions, celle d’Haïti n’est faite que de régressions. Et, là encore, j’en douterais. Car, selon que la régression est l’évolution vers le point de départ, Haïti devrait recouvrer sa gloire, sa dignité… de nouveaux noms auraient figuré dans le panthéon de son histoire.

En dépit de ce que représente Haïti aux yeux de l’Etranger, elle est quand même parvenue à se faire accepter comme une civilisation nègre en plein cœur de l’Amérique. Haïti que j’appelle l’Afrique exilée, ou plutôt la pointe avancée de l’Afrique en Amérique où elle continue d’être le symbole de la fierté et de la dignité des Noirs du monde entier, malgré tout…

Si Haïti a conservé le français, langue des colonisateurs comme première langue, c’est en ce sens que cette langue reste, pour elle, un trophée supplémentaire dans son butin de victoire, comme l’a bien énoncé François Duvalier…

Toutefois, il faut souligner qu’étant Haïtiens, descendants de l’Afrique, avoir le français comme langue officielle ne signifie pas qu’il n’y a pas de contradiction entre la négritude et la francité, ce que prétendait Léopold S. Senghor. Il y en a. La francité est européenne et strictement française. La négritude, quant à elle, est purement relative aux Noirs. Elle n’est pas tout à fait africaine, comme on peut le penser.

Et, en aucun cas, souligner la négritude n’est nullement un moyen d’accentuer le racisme, car, nous, Noirs, considérons aussi l’Homme comme universel. A moins que ce soit un racisme à rebours… Mais, il s’agit plutôt d’une forme d’affirmation de la civilisation nègre.

Dans le creuset des malheurs, Haïti miroite au soleil de sa gloire qui paillète sa jeunesse de ses humides étincelles, et y couve aussi une révolution de cette jeunesse qui ne tardera pas. Sa jeunesse aussi immarcescible que sa gloire, aussi forte que le temps.

Eliphen JEAN


La vie en Haïti, un défi…

lematinhaiti.com
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Les crises haïtiennes font encore le plein d’audience à la radio comme à la télé, et font encore couler beaucoup d’encre. Elles s’empirent au fil des jours. Et, quand à défaut de solutions les contingences de la vie quotidienne deviennent crises, les inquiétudes dues au marasme socioéconomique sont davantage irrémédiables et cruelles… Dès lors, les rêves de la jeunesse populaire restent, pour la plupart, au stade du mirage. Ils renvoient, pour reprendre Jean-Paul Sartre, aux raisons du cœur, aux vertus, aux vices, cette grande peine que les hommes ont à vivre.

Généralement, une célèbre phrase caractérise le discours quotidien de l’Etre Ayisyen (Haïtien). « Lavi a di » (La vie est dure). Et, il semble bien évident que la vie est, ici, injuste et cruelle. Ce qui entraîne – je le souligne dans plusieurs articles – une fuite constante de valeurs. Une fuite pourtant pas inexorable comme celle des heures, puisqu’en étant conscient, on peut miser sur la jeunesse montante comme on doit toujours miser sur les hommes et les femmes, autrement dit sur le capital humain. Cette fuite de valeurs n’est pas une fatalité à laquelle on ne peut se soustraire. Mais un défi. Même s’il n’y a pas que ce défi. En effet, pourvu que l’Etre Ayisyen veuille sortir de ces ornières qui sillonnent sa voie, il peut défier la fatalité. Car, comme disait Romain Rolland, cet écrivain français du 20e siècle, la fatalité, c’est l’excuse des âmes sans volonté. Et, si l’avenir est menaçant, il doit le défier pour ne pas se réduire à le redouter chaque jour.

Par ailleurs, comme un œil en pleurs aux prunelles malhabiles, s’ouvre le cul d’Haïti au regard insensible et méprisant de l’Etranger. Haïti est mal vue. Et, quiconque se croit être bien vu comme Haïtien, se trompe sur toute la ligne, tant qu’il ne se voit pas bien lui-même en premier lieu. Je veux souligner, ici, le cas d’une crise de confiance généralisée et de fierté-nègre, le cas d’un déficit moral profond qui se creuse considérablement. On se croit inférieur à l’Etranger, on ne croit pas qu’on peut comme lui… on se méfie de soi et des autres. En effet, on ignore qu’Haïti peut positivement bouger dans la mesure où l’on croit qu’on peut comme l’Autre, et qu’on se décide d’agir. Mais… c’est cela, un autre défi, le défi d’être Haïtien.

L’Etre Ayisyen (Haïtien), douloureusement affecté par son état et conscient, lassé de tout, même de l’espérance, s’aveulit gravement devant le défi d’une vie dont l’instauration ne date pas d’hier. Aujourd’hui plus que jamais, Haïti est en urgence d’une transformation sociale et sociétale, en raison de la menace qui pèse lourd sur la masse populaire, classe des plus faibles. En raison, surtout, de ces calamités séculaires et indomptables qui fondent sur Haïti. Cette transformation, au-delà d’une politique d’amélioration des conditions actuelles d’existence, nécessite une politique de structuration du système éducatif haïtien, où une éducation adaptée à la réalité haïtienne doit prévaloir contre cette forme importée qui dépossède systématiquement l’Etre Ayisyen de sa culture. Je pose là un problème aussi ethnique que social. Améliorer ces conditions, c’est les proportionner aux standards sociaux (référentiel de normes, de valeurs…) C’est, en d’autres termes, tenter de corriger ce sérieux décalage entre les normes et les conditions factuelles de la vie sociale haïtienne.

Outre que cet article consiste en une configuration multifactorielle des crises dites haïtiennes, en accéléré, sur fond d’incidences comme la fuite et la bizarre mutation des valeurs, il invite à poser le regard sur la réalité sociale où les problèmes sociaux ont le visage de plus en plus hideux. Il invite à l’observation des hideurs sociales, en vue d’une meilleure compréhension du défi de la vie en Haïti, et de celui de l’Etre Ayisyen.

Eliphen JEAN


Haïti en besoin d’État

www.radio-canada.ca
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Voici ce qui s’échappe si souvent de la bouche du peuple dont je suis : l’État, c’est nous. Impardonnable naïveté à laquelle aucun âge n’échappe que difficilement. L’État a plutôt toujours été « moi ». Ce moi représente ceux-là qui se font passer pour des gens ayant des lumières, de l’aisance et de la conscience, qui se disent personnalistes. Des gens qui, ne pouvant suivre l’ordre social ou s’y conformer, arrivent à s’emparer du pouvoir, en vue d’organiser la vie sociale en leur faveur. Ils constituent donc, comme l’a aussi vu Friedrich Engels, l’État qui est au fond, sous une forme condensée, le reflet des besoins économiques de la classe qui domine la production. Ils sont des gens qui prétendent alors faire ou pouvoir faire les affaires du peuple. Le peuple étant, pour moi, dispersé en des sphères particulières qui peuvent s’appeler « classes » et en individus.

En effet, cette classe qui aspire à la domination, qui parvient à maintenir l’État, en petit prince de Nicolas Machiavel, conquiert, en premier lieu, le pouvoir politique, le pouvoir souverain qui n’est subordonné qu’à lui-même. C’est le seul moyen de faire passer son intérêt propre ou ses ambitions pour intérêt général. Cependant, quand elle peut tout sur le peuple, les lois, de leur côté, peuvent tout sur elle. Mais, qu’arrive-t-il quand elle se contraint devant les lois ou quand ces dernières entravent sa puissance ? Elle conçoit de nouvelles lois, des décrets… C’est encore, ici, une de mes compréhensions de cette classe dominante qu’est l’État.

Par ailleurs, tenant compte de la théorie du concept d’État, le peuple ne devrait pas être tout à fait naïf, puisque l’État est considéré comme le regroupement de citoyens établis en permanence sur un territoire donné. Le peuple, ne constitue-t-il pas l’ensemble de ces citoyens ? Oui, mais un ensemble régi par un système politique déterminé relevant du droit international… d’où un paradoxe brutal, car, pour moi, ce système politique s’identifie encore à l’État. Ainsi, est-il sensé de dire que l’État, c’est nous ? Nous serions l’État, si et seulement si, le peuple renvoyait à la nation considérée dans son ensemble comme un corps politique organisé. J’invite donc, ici, à comprendre qu’une société humaine comporte deux éléments : un élément humain, la Nation, et un élément juridique, l’État qui commence à se former, pour certains, dès que se constituent des services publics.

Dire qu’Haïti est en besoin d’État, c’est aussi souligner qu’elle a besoin d’être un État de droit, comme défini dans le droit constitutionnel. C’est dommage que le pays, si je me fie à mes yeux, ne reconnaisse pas la primauté du droit. Société anomique. Matraquages politiques, cette opération destinée à convaincre la population par la répétition fréquente de promesses non tenues ou messages d’espoirs. Abus de pouvoir. Si s’assurait le règne de la loi comme l’expression de la volonté populaire, l’ordre social ne serait pas désorganisé, l’État (la classe dominante) s’instituerait alors arbitre impartial entre ses ambitions et l’intérêt populaire. Ainsi devrait-il en être d’Haïti dont l’ordre juridique ne reconnaît pas réellement la liberté, la justice, l’égalité…sauf un pluralisme politique anti-développemental et suicidaire.

Enfin, qu’est que c’est que l’État haïtien ? L’État haïtien est ce système politique, né de disparités idéologiques, et construit sur des ambitions politiques d’un petit ensemble d’individus égocentriques, cachés derrière le monstrueux paravent du nationalisme. C’est, en d’autres termes, cette classe sociale dominante qui produit ce système d’idées et d’ambitions qu’est le système politique, comme dirait Karl Marx, en vue de maintenir un pouvoir social et économique.

Eliphen Jean