9 février 2015

Un regard sur l’anarchie haïtienne

moun.com
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J’entends souvent dire qu’Haïti est en proie à l’anarchie, en ce sens, sans doute, qu’elle s’y expose. C’est faux. Il faut plutôt dire qu’Haïti est anarchique, ou bordélique, si l’on veut. Et, c’est cette anarchie qui déchaîne toujours les masses populaires. A mon avis, l’anarchie haïtienne est l’expression de l’insatisfaction du peuple dont les conditions de vie, déjà déshumanisantes, empirent considérablement. Elle est alors caractérisée par une rébellion morale ou même violente contre les injustices sociales, les abus de pouvoir, et par un déséquilibre redoutable de la société. Ce déséquilibre est, pour moi, un corollaire obligé des désagrégations continues des appareils d’Etat.

Par ailleurs, je comprends l’anarchie haïtienne comme la désarticulation de l’armature morale qui se manifeste par le non-respect du droit. Le droit est, ici, considéré comme une hiérarchie de normes édictées par les autorités politiques légitimes, en vue d’organiser les rapports sociaux. Paradoxalement, il arrive que ce non-respect ou cette non-application du droit soit le propre de l’Etat, ce monstre énorme, terrible et débile. Alors que le pays devrait être considéré comme l’apanage de tous, il est plutôt le monopole de l’Etat qui l’expose comme une viande en état de putréfaction avancée, dont il faut se débarrasser en toute urgence, aux yeux de l’international. C’est comme l’a montré le sociologue haïtien, Jean- Jacques Cadet, la société haïtienne s’inscrit dans la nouvelle dynamique internationale caractérisée par la marchandisation systématique. Haïti baigne alors dans une marchandisation sordide. Qui pis est, pour flatter l’œil des acheteurs, on dissimule les bons produits (le dessus du panier) sous les produits médiocres (le fond du panier). Je veux dire que les valeurs du pays sont toutes reléguées et maintenues à l’arrière-plan sur la scène politique internationale. C’est la meilleure façon, pour les grands ténors de la politique, d’attirer les investisseurs internationaux.

Un autre aspect de l’anarchie anarchie haïtienne est lié à une crise, dite crise de représentation. De là, se pose la question à savoir si le pays a les dirigeants qu’il faut à la place qu’il faut. Pour certains, notre président actuel ferait mieux d’exercer son talent de chanteur dépravé, comme ils savent le qualifier, où il montre son cul à ses fans. Pour d’autres, nos parlementaires, pour la plupart, devraient plutôt se promener devant la scène politique comme des lèche-vitrines désargentés, au lieu d’être acteurs politiques. Souvent conscient de la misère du peuple et de ses frustrations, notre président machiavélique invoque de temps à autre des prétextes cousus de fil blanc à triple portée : encourager l’espoir, accuser les opposants et incriminer cette misère qui ne date pas d’hier. Quatre ans déjà au pouvoir, cette attitude de propagandiste donne l’impression que l’élection présidentielle n’a pas encore lieu. Sur ce, souffrez que je le dise, notre pays, Haïti, est voué sans appel à la platitude.

Dans le droit fil de politique haïtienne, il appert que l’Etat est velléitaire. Velléitaire, car il ne se décide pas à agir. Plus la misère empire, plus les crises perdurent, plus le pays dépend de l’assistanat international. Ce qui favorise l’enrichissement personnel des autorités politiques. On voit, en effet, à quel point la société haïtienne se débat désespérément dans une anarchie affreuse qui déchire le pays depuis longtemps, au gré des passions politiques. Les masses populaires stagnent dans un dénuement moral profond. La jeunesse s’y trouve, elle aussi, encroûtée. Les jeunes de 20 à 25 ans, dans le bas peuple, se demandent, pour la plupart, pourquoi leur durée de vie est aussi longue. Le fléau de la misère chronique n’est pas un rêve qui va passer. Il sévit. Dès lors, dans le caraïbe, Haïti devient presque la vitrine du chaos et de l’anarchie.

Toutefois, la vie sociale qui se délite sous le poids de l’anarchie, redeviendra, selon moi, possible moyennant un lien fort entre l’action individuelle et l’ordre social. En outre, il faut des actions citoyennes progressistes. C’est-à-dire, des actions visant au progrès politique, social, économique, et qui tendent à la modification de la société vers un idéal d’une nouvelle société. Notre histoire a besoin d’être marquée par une nouvelle ère : une ère progressiste. Aussi, faut-il, à cet effet, une volonté collective déterminée et une prise de conscience collective qui soit, pour paraphraser Durkheim, un partage de ces croyances et de ces sentiments communs à la moyenne des membres de notre société. Dès lors, il est nécessaire que la société soit libérée du poids de cette tradition de crises, si de sa structure doit dépendre l’idéal des uns et des autres.

Éliphen

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