Dans mon pays, les immondices servent d’adresses
Incroyable, mais vrai. En Haïti les ordures permettent d’identifier l’emplacement d’un domicile, d’un établissement ou servent d’indicateurs. Bizarrement, on s’en sert. Imaginez-vous, un bon matin ou un bel après-midi, dans les rues de la capitale ou de la deuxième ville du pays, Cap-Haïtien. Vous devez rencontrer quelqu’un. Vous êtes comme perdu en chemin. Alors, vous téléphonez à ce quelqu’un pour savoir où il est. Vous savez ce qu’il répondra ? Vous n’en croirez pas vos oreilles.
– Veuillez m’attendre à la rue 11 J, vous trouverez un tas d’immondices tout près. Quant à moi, j’traverse à peine la rue 17 I, j’vais prendre le Collège Modèle. J’ai déjà passé l’amas d’ordures. Donc, vous pouvez voir que j’suis pas loin d’arriver…
C’est ainsi que répondra votre quelqu’un. E, voilà que vous endurez pendant environ 45 minutes d’attente, la pestilence qui se dégage du tas d’immondices près duquel vous êtes… Ne vous étonnez pas trop si quelqu’un d’autre vous donne rendez-vous en vous disant, sans aucune gêne, qu’il habite devant l’amas d’ordures le plus élevé, ou plutôt derrière cet amas.
Les immondices constituent, en effet, un véritable mal nécessaire, pour certains. Par ailleurs, lorsqu’elles sont empilées ou pile sur pile, elles sont comparables à des gratte-ciels. Les rues de mon pays, de ma ville plus particulièrement, regorgent, pour la plupart, d’ordures. Cependant, on ne cesse d’entendre un peu partout le slogan « Lari a se salon pèp la (les rues représentent le salon du peuple)». En outre, on ne peut parler de scènes de la rue sans évoquer les tas d’immondices qui représentent, eux aussi, chez nous, un symbole vivant et significatif de la vie urbaine. On en trouve à tous les coins de rue. La ville de Cap-Haïtien, jadis Cap-Français, devrait aujourd’hui s’appeler Cap-Ordures. La mer comme attrait touristique devient un dépotoir, ce qui révèle une défaillance grave du service de ramassage et de collecte d’ordures.
Ce phénomène ne date pas d’hier, mais, si je ne me trompe, après le régime de Duvalier. Les bennes à ordures du service métropolitain de collecte des résidus solides ne font que tourner en rond. En un clin d’œil, un coin de rue fraîchement nettoyé se retrouve bourré de détritus. La question de ramassage reste un véritable casse-tête, malgré les campagnes d’assainissement. C’est en effet un problème de mentalité. La mentalité de la population est dite primitive. Primitive parce que la population ignore les formes sociales des sociétés dites évoluées. Par ailleurs, on se demande si ce phénomène n’est pas lié à l’exode rural, c’est-à-dire à la déruralisation ou au dépeuplement des campagnes au profit des villes.
Éliphen Jean
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