Haïti : la République du cauchemar
Haïti, au jour le jour, devient un labyrinthe mouvementé. Un pays toujours agité où quiconque oserait s’aventurer sans guide ou sans rêve, risque de se fourvoyer indéfiniment. C’est une évidence. « Vivre en Haïti, c’est mourir lentement. » Je parle ici pour le « bas peuple ou la masse populaire », expression méprisante dans la bouche bourgeoise, mais terriblement idéalisée dans la bouche prolétaire. Vivre en Haïti, c’est aussi être ce petit navire à voiles sur cette mer houleuse, voiles gonflées, déchirées par le vent en furie, fort et cinglant.
La vie, pour la plupart, chez nous, est un tissu d’inquiétudes qui ronge l’esprit d’une jeunesse appelée à diriger le pays. Inquiétudes au sujet de la réussite. Inquiétudes causées par le perdurable marasme politicoéconomique. D’autres parleront bien ici de l’angoisse existentielle. Notre société se résigne comme par un fatalisme foncier à l’idée d’être incapable de résoudre le problème de son fonctionnement, moyennant un « gouvernement-assume-tout ». Cependant, elle se révèle plutôt un navire où tout le monde doit contribuer à la direction du gouvernail. C’est donc la fatalité du quotidien, mythe devant lequel s’inclinent, renoncent ceux qui, dans la société, ont des lumières, de l’aisance et de la conscience, et qui constituent ce que Hippolyte Adolphe Taine, philosophe et historien français du 19e siècle, appelle une petite élite.
Toutefois, il reste indéniable comme le disait Montesquieu, qu’« une société ne saurait subsister sans un gouvernement ». Mais, qu’arrivera-t-il quand ce gouvernement ne joue pas efficacement son rôle ? Ce rôle fondamental qui est de contribuer à l’amélioration des conditions existentielles de son peuple. Ce sera alors le chaos d’ambitions confuses suivi par de véritables convulsions politiques et sociales. Donc, pour maintenir l’unité nationale, l’action du gouvernement doit être aussi dictée par les exigences sociétales, et perçue comme un ensemble d’appels lancés à la conscience de chacun de nous par les personnes qui le représentent. C’est pourquoi il doit s’instituer arbitre impartial entre ses ambitions et l’intérêt général. C’est dommage que nous vivions en Haïti une démocratie suicidaire où chaque couche sociale vit comme bon lui semble, ce qui est dommageable à la nation entière, préjudiciable à la paix et aux progrès.
La masse populaire souffre le martyre. L’épouvantail du chômage s’agite de plus en plus. La misère économique s’accroît avec le temps, mais au gré de l’impérialisme américain. On a presque l’impression que la fierté d’être premier peuple noir indépendant nous est échue par quelque paradoxe de la nature. Cette misère, ne commence-t-elle pas avec l’arrivée des nationalistes au pouvoir en 1930, suite à la destitution du président Louis Borno ? Remontons de mille pas en arrière : le nationalisme haïtien est né de l’occupation américaine. Le nationalisme haïtien a ses racines dans la souffrance des masses, la dépossession, le pillage, les massacres, les matraquages, les incarcérations… Le nationalisme haïtien, écrivait Jacques Roumain, c’est l’exploitation effrontée de l’anti-impérialisme des masses, à des fins particulières, par la bourgeoisie politicienne. Une bourgeoisie qui, pour avoir la sympathie des masses, traitait nos ancêtres comme les va-nu-pieds de 1804… Nos ancêtres qui ont sacrifié leur vie. Cette bourgeoisie a humilié notre race. Cette bourgeoisie qui oppressait impitoyablement la masse populaire en faveur de l’occupant. Cette bourgeoisie a grandement contribué à la désagrégation de l’unité nationale et de notre peuple.
On voit à quel point de terribles calamités, la famine criante, le désespoir invincible fondent sur le peuple haïtien comme l’Aigle de l’Impérialisme sur sa proie… Haïti a besoin d’espérer.
A suivre…
Éliphen Jean
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