Coïncidences parallèles

Article : Coïncidences parallèles
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9 décembre 2014

Coïncidences parallèles

Crédit photo: https://elphjn01.mondoblog.org/
Crédit photo: https://elphjn01.mondoblog.org/

Font surface en face de mon avenir assurément incertain, des non-dits, des secrets, des silences. Coïncidences parallèles. J’éprouve le besoin de retrouver mon origine – comme il doit arriver à tout humain de ressentir à un moment de sa vie – une quête de l’exister, un élan holistique vers son ressourcement. C’est ainsi qu’en plein automne 2012, un beau soir, j’émerge de ce vivier de mensonges et de songes où je vivais depuis vingt-deux ans. À vingt-deux ans, j’éprouve le besoin de savoir pourquoi ma mère et mon père ne vivent plus en couple et pourquoi je suis si attaché à ce dernier en dépit de ses irresponsabilités. Un père qui s’enfuit toujours par la fenêtre quand des dépenses frappent à la porte. Hélas ! Jeanne cherchait, Jeanne trouve, comme dit le vieux proverbe haïtien. Bref! Je m’adresse à ma mère Kaëlle Jean, tâchant de savoir si elle comptait plusieurs amours, dès le dernier soupir de son mari Norilus, le père de mes trois aînés, deux grands frères et une sœur. Toutes les amours dont je serais peut-être un produit de justesse.

Un enfant adultérin

Là, elle prit tout son temps à réfléchir, comme si elle pérorait sur les ombres du passé, comme si les voyelles durent se cogner contre ses dents jusqu’à l’avortement de ses rires pour secouer l’inavouable dans son inertie de fossile. Son visage devient triste et serein comme un regard d’enfant sur du gâteau en vitrine et la conversation languit. Quelques minutes plus tard, elle me révéla, éplorée, que je suis supposé être le fils d’Eli Plaisir, drôle de nom ! Mais non ! Quelque chose m’intrigue ! Je m’appelle Phénéli Jean. Comment porter le nom de ma mère et le prénom de ce « supposé père » ? C’est ici bien que je découvris qu’à cette époque-là où je suis né, un enfant comme moi, adultérin, ne saurait avoir la signature de son père, sans l’autorisation de l’épouse légitime, la vraie femme légalement mariée. Sans doute, ma mère n’était-elle pas la vraie, elle ne serait donc qu’une concubine ! Je persistais avec mes questions jusqu’à la sortir de ses gonds. Tonnerre de Dieu ! S’exclama-t-elle, et poursuivit enfin tristement, les yeux humides et larmoyants:

« Après la mort de mon mari, l’usure m’entraînait sur le chemin d’un prénommé Eli. Quelques mois durant notre aventure, je découvris qu’il était un homme marié, père d’un essaim d’enfants. Je le détestai au point d’avoir peur de le revoir. Ayant voulu à tout prix m’avoir dans ses serres, il se rendit au pied de Saint-Jean Baptiste pour demander un autre enfant. »

Aujourdhui, inachevée

À ces mots, j’aurais éclaté en sanglots et me serais jeté dans ses bras cordés de veines. N’ayant pu m’échapper à tant d’émotions qui pèsent aussi lourd que le plomb de mon passé, je m’en allais tremblotant, les jambes molles, droit vers mon grabat. Ce soir-là, des visions ténébreuses et moroses tourbillonnaient dans ma tête au point de pouvoir dormir. J’essayais de me relier à mon histoire pour donner consistance et cohérence à mon existence. Soudain il me souvint que tout petit, ma mère me traitait de fils de Loa, surtout que je me réveillais toutes les quatre heures du matin, voulant du pain trempé dans de l’eau sucrée. Qu’on le voulût ou non, ma grand-mère Atilia devait frapper à toutes les portes du quartier, sans quoi mes cris seraient si aigus que toute la ville en serait ébranlée. Était-ce pour rien ? Je ne vais pas chercher pourquoi le vert jure avec le bleu. Qu’importe le cas, tout ce que je sais, je le sais bien. Je ne suis pas un enfant naturel. Qu’importe le prix à payer, je le sais et je l’avoue, car ma langue n’appartient pas aux chiens. « Phénéli est le fils de Saint-Jean Baptiste *. » Vérité qui doit déroger à la dignité des esprits, puisque je ne dois pas en parler. Mais, c’est mon histoire malgré tout, et tout simplement. Peut-être la plus étourdissante et la plus incroyable, jusqu’aujourd’hui, inachevée, puisqu’il faut partir vers mes origines jusqu’à prendre racine dans une nouvelle aventure de maturation.

Notes:
Loa ou lwa, esprits de la religion vaudou. On les appelle aussi « les Mystères » , « les Invisibles ».
Saint-Jean Baptiste, saint catholique correspondant ici au loa vaudou Aga-ou Tonè – Sim’bi

Eliphen Jean

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Commentaires

RitaFlower
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C'est un témoignage très personnel d'une partie de ta jeune vie que tu livres içi.Malgré ta quete d'identité,on ressent l'amour que tu as pour ce père absent.Que ton histoire continue au fil du temps,Eliphen.