IL faut réinventer l’Etat haïtien

Article : IL faut réinventer l’Etat haïtien
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23 décembre 2014

IL faut réinventer l’Etat haïtien

Crédit photo: canalplushaiti.net
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Les mots sont peu pour brosser les sombres anomalies de l’histoire de mon pays. Il faut pourtant le débarbouiller, à l’eau forte, de tous les graffitis misérabilistes qui le noircissent depuis des ans… Mais, comment y arriver sans une prise de conscience collective ? Une prise de conscience de ce que nous sommes réellement, et de ce que nous devons faire pour tirer le pays de son bourbier mouvant.

Haïti, dit-on, est la première République noire indépendante. La bataille de Vertières, l’apogée de la révolte des esclaves de St Domingue, a conduit à son indépendance. Elle peut se considérer comme un engagement patriotique, car c’est de là que sont jetées les fondations de notre République, ou plutôt de notre patrie. Un coup d’œil sur l’histoire nous montrerait bien l’idée révolutionnaire des esclaves, et, surtout, cette volonté d’avoir une nation. Et, c’est ici le patriotisme vivant qui animait cette bataille. Le patriotisme était donc ce désir féroce de briser les chaînes de l’esclavage, et le sentiment d’appartenir à une nation. Littéralement de pater, patriotisme signifie le sentiment d’appartenance à un pays. Il s’agit d’un sentiment fait d’amour et de fierté qui porte à soutenir l’idée de lien à un pays.

Toutefois, il faut reconnaître qu’il existe plusieurs types de patriotismes : social, économique, culturel et juridique. Mais, en ce qui doit concerner le peuple haïtien que nous sommes, c’est le patriotisme social qui nous interpelle, car il renvoie, tout à fait, à cet attachement particulier à un territoire, à une terre donnée. C’est donc le sol qui est le lieu d’attachement où les esclaves ont érigé, dans la tradition, une culture, une identité, une conscience (d’être aussi des humains) qui les dépassaient, mais dont ils furent uniques porteurs. En effet, il est important que mes compatriotes avisés soient conscients de cela, et qu’ils s’engagent dans une dynamique révolutionnaire. Il faut une révolution sociale, en ce sens qu’elle est le passage, réalisé par des forces progressistes de la société, à un degré qualitativement nouveau, supérieur de développement, le mouvement d’un régime social ancien, suranné, vers un nouveau régime, plus avancé. Les barrières, je le crois, qui cloisonnent notre société, ne peuvent être brisées que par une révolution sociale planifiée.

Par ailleurs, ce type de patriotisme se reconnaît dans la défense des valeurs traditionnelles, de la culture propre au pays, qui passe, naturellement, par l’affirmation d’une conscience du « nous ». Qui dit protection de ces valeurs, dit défense d’une identité qui est aussi celle du territoire national contre une occupation ou une présence ressentie comme incongrue. Il faut ainsi une lutte visant à rejeter les valeurs ou cultures étrangères, ou à les basculer en arrière-plan. Au gré du phénomène de la mondialisation, il faut brandir le flambeau du patriotisme contre l’étendard sanglant des impérialismes culturel, politique et économique. Il faut une prise de conscience que nous sommes un peuple indépendant, que nous avons une nation… et que nous devons édifier l’avenir de ce pays à l’imitation du passé. Si le passé était triomphant, pourquoi ne pas s’y modeler ou s’en instruire aujourd’hui, en ce temps de désespoirs et de misère chronique ? Je conseillerais ici de déterrer, ressusciter, pour revoir, une dernière fois, contempler le passé, le parcours accompli des ancêtres. Haïti est l’affaire de tous. Cependant, nous n’aboutirons pas à recouvrer notre fierté nationale sans une reconnaissance citoyenne. Nous n’aboutirons pas non plus sans une politique contre le chômage, car comme disait O. Henry, l’amour, le travail, la famille, la religion, l’art, le patriotisme sont des mots vides de sens pour qui meurt de faim. Parler de chômage, de misère, c’est souligner un cas de péril national qui fera substituer l’instinct de conservation collectif que représente le patriotisme, à celui de conservation individuelle.

En ces temps de déprime économique, où la dérive du chômage devient de plus en plus effrayante, de quoi Haïti a-t-elle besoin réellement? De pont à étagement, de deux carnavals dispendieux par an, ou d’entreprises pour générer des emplois ? De quoi ? L’épouvantail du chômage s’agite très fort, alors que le Président Martelly ne cesse de crier jusqu’à ce jour : « Haiti is open for business*», « Haïti avance ! ». Sous l’angle de la qualité de la vie, le bas peuple qui vote, doit savoir de quel homme d’Etat il a besoin. C’est important. C’est vrai qu’un malheureux au pouvoir est capable de nous rendre tous pauvres, mais un riche au pouvoir (surtout sans une compétence adéquate) n’y peut rien pour les pauvres s’il n’a pas souffert comme eux, ou s’il n’est pas conscient de leurs souffrances. D’ailleurs, les capitalistes, inhumains qu’ils sont, se repaissent de la souffrance humaine. La misère des autres leur sert de tremplin.

De quel homme d’Etat Haïti a besoin ? Elle a besoin d’un homme d’Etat différent de ses vautours habituels, vautours à l’insatiable boulimie politique. Un homme d’Etat qui reconnaît son devoir fondamental, celui d’améliorer les conditions existentielles de la masse. Ce devoir de l’homme d’Etat, pour dire comme Emile Durkheim, n’est plus de pousser violemment les sociétés vers un idéal qui lui paraît séduisant, mais son rôle est celui du médecin : il prévient l’éclosion des maladies par une bonne hygiène et, quand elles sont déclarées, il cherche à les guérir. Voilà l’homme qu’il nous faut. Ainsi, comme un brin de paille dans l’étable, l’espoir luira, et éclatera même, un jour, sur la noirceur lugubre du quotidien. Tant qu’une jeunesse existe, Haïti peut espérer. La jeunesse est le fer de lance d’une nation.

Eliphen Jean

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