27 janvier 2015

Il y a des vautours en Haïti

matierevolution.fr
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Rien n’est plus immuable que la nullité. Et, la civilisation haïtienne est, pour moi, d’une nullité lamentable. Alors qu’elle devrait avoir fondamentalement pour but le progrès de l’Être haïtien, et résoudre les problèmes qui se posent aux uns et autres, elle se désarticule au gré des hommes politiques… Nous assistons toujours à contrecœur au retour cyclique des crises systémiques et corollaires obligés. C’est-à-dire que ces crises se renouvellent dans un ordre immuable où les partis politiques, au détriment de la masse populaire, s’escriment à régner sans discontinuité. Nous assistons donc à une prolifération de vautours dans la faune politique. Des vautours prolifèrent, car Haïti leur est une charogne vivante. Les citoyens de petites organisations dites communautaires sont pour la plupart des nécrophores, ce sont de petits rongeurs : ils écrivent des projets, abusivement appelés projets de développement ou communautaires, ils reçoivent des subventions à cet effet, et les projets ne se réalisent pas. Ils exploitent tous alors impitoyablement des malheurs des uns et des autres.

Ces situations où Haïti est au ban des nations, ne font que perpétuer la misère. Tout un peuple s’étouffe sous le joug de la nécessité. Les locomotives électorales et notamment parlementaires, je parle ici des leaders politiques, engagent des luttes antigouvernementales sans fondements et sans effets positifs. Ces luttes sont alors platoniques, puisqu’elles n’aboutissent pas, pour moi d’ailleurs, à des conclusions dans le domaine de l’action politique positive. Or, sous l’enveloppe changeante de ces situations, nous devrions tous penser à sonner le glas de la misère, des impérialismes économique et culturel, et de cette colonisation caractérisée par la destruction des valeurs originales par des valeurs étrangères, pour paraphraser Léopold Sédar Senghor.

Au-delà des phénomènes sociopolitiques, je veux poser le problème sociologique lié à l’articulation civilisation-culture-société, une trilogie qui doit servir de base à la construction ou au renouvellement d’une nouvelle société haïtienne. La civilisation, comme ensemble de phénomènes sociaux et de caractères communs à une société, ne doit pas être quelque chose d’imposé à une majorité récalcitrante par une minorité ayant compris comment s’approprier les moyens de puissance et de coercition, comme le voit d’ailleurs Sigmund Freud. Mais, plutôt, comme une passerelle du problème des cavernes de l’homme à celui de l’homme des cavernes, jusqu’à l’éboulement des cavernes. C’est-à-dire un peu le contraire de ce à quoi Edgar Morin1 assimilerait la civilisation. Tout ce qui menaçait l’homme du dehors, les grands périls, les ténèbres nocturnes, la faim, la soif, les fantômes, les génies, les démons, tout ce qui le maintenait dans une insécurité fondamentale, ne doit pas passer à l’intérieur et menacer du dedans. Ce doit être là, un objectif de la civilisation, un objectif de notre civilisation.

Par ailleurs, je me demande si la civilisation, comme l’a montré François Mitterrand, ne doit pas commencer avec l’identité, ou si l’identité n’en est pas plutôt une composante. Dès lors que la civilisation peut consister à faire passer à un état social plus évolué (dans l’ordre moral, intellectuel, artistique, technique) ou considéré comme tel, elle s’inscrit, à mon avis, dans une démarche de socialisation. Cette démarche doit se réaliser au fil d’une succession d’intériorisations et initier chez les acteurs sociaux toute une inversion de valeurs. Au gré de cette démarche ou ce procès de socialisation, se consolident les fondements culturels de la société. Parler de tels fondements, c’est parler de l’identité, car ils déterminent le mode de vie légitimé de la société qui s’appelle, selon Platon, culture. Ces fondements, j’ajoute, n’étant pas une forteresse inexpugnable, requièrent le respect mesuré des normes.

Certainement, vous vous posez cette question à savoir pourquoi notre civilisation est d’une telle nullité. La réponse est bizarrement simple. La civilisation haïtienne est nulle, car, telle qu’elle est façonnée depuis deux siècles déjà, s’avère incapable de corriger l’éventail des phénomènes sociaux qui la constituent. Et, je ne trouve pas encore d’épithète juste pour la peindre. Elle est anomique ou peu orthodoxe. C’est cette anomie qui détermine l’écroulement ou l’affaiblissement de notre civilisation, et qui conditionne les mauvaises actions populaires. Une action populaire est, chez nous, une suite d’actes désespérés qui permet de gagner l’espoir, et engagée généralement par le peuple. De là, je me demande si la démocratie suicidaire que nous avons en Haïti ne contribue pas à cet affaiblissement. Chacun vit comme bon lui semble. Les opposants et les gouvernants s’acharnent sans arrêt. La politique est meurtrière. Les hommes élus par le peuple veulent régner à vie, ce qui me donne lieu de parler ironiquement d’une dictature démocratique. Ici, j’invite à considérer la dictature comme la forme la plus complète de la jalousie, car le pouvoir est, pour moi, une mine d’or inépuisable. C’est pourquoi les grands ténors de la politique, les gouvernants notamment, deviennent aussi des virtuoses de l’oppression. Or, Haïti est un pays dit démocratique…Voilà une situation qui permet de comprendre notre démocratie comme un paravent à travestir cette dictature où le pays devient propriété, et le peuple objet. Mais, comme disait Georges Duhamel, chaque civilisation a les ordures qu’elle mérite. Et, notre civilisation se vide tellement de sa substance qu’il n’en reste même plus l’écorce.

Dans le désordre actuel du pays, outre la nécessité d’une politique de civilisation et de socialisation des transitions, le premier devoir des responsables politiques est de resserrer le tissu des relations sociales. A cet effet, il est vital d’engager plutôt des conflits positifs, susceptibles de faire bouger le pays. Il est temps de sortir le pays du lacis inextricable des crises pour le mettre enfin sur les rails. Ce n’est pas la tâche du président, mais celle de tous. C’est aussi la tâche des opposants qui investissent beaucoup d’argent contre les gouvernants en réalisant des manifestations délirantes, au lieu de construire des projets durables. Mais, ils sont aussi des rapaces, des jaloux du pouvoir tout simplement. A l’heure qu’il est, nous devons ensemble ressaisir notre civilisation, si nous en avons une, ou notre société en la basant sur le culte des valeurs, de la patrie, de la justice, du passé, mais surtout sur le culte de l’union. Haïti réclame le contraire de cette politique politicienne, c’est-à-dire qu’elle veut plutôt une politique progressiste, clairvoyante et généreuse.

Éliphen Jean

1.- « Avec la civilisation, on passe du problème de l’homme des cavernes au problème des cavernes de l’homme. Tout ce qui menaçait l’homme du dehors, les grands périls, les ténè¬bres nocturnes, la faim, la soif, les fantômes, les génies, les démons, tout ce qui le maintenait dans une insécurité fondamentale, tout cela passe à l’intérieur et nous menace du dedans. »
Edgar Morin (1921-)

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Commentaires

Moussa Magassa
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Bonne analyse et courage