Eliphen Jean

Les manifestations populaires sont justes

Nancyroc.com
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Peu importe ce qu’on dit de moi. Je ne suis pas contre les manifestations populaires dans mon pays. Les causes des manifestations sont profondes. Les mouvements de grève dans la fonction publique sont justes. Le théoricien politique français George Sorel du 19e siècle l’a déclaré : c’est dans les grèves que le prolétariat affirme son existence. C’est vrai, car l’État se fout du prolétariat. L’Etat s’en sert pour réparer les détournements de fonds, les dépenses injustifiées, les blanchiments d’argent. C’est une vérité, croyez-moi. Les prolétaires ne peuvent alors que se soulever. (En août 2014, j’ai payé 50 gourdes pour réaliser mon numéro d’Immatriculation fiscale. L’espace d’un cillement ! Trois mois plus tard, on exige aux salariés 300 gourdes et 150 gourdes aux sans-emplois. Qu’est-ce que cela veut dire ?

En effet, je veux montrer que les contestations populaires ne sont que la conséquence des injustices sociales et des abus de pouvoir. La résistance à l’oppression est un des droits du citoyen. Le pays entier est soumis à une autorité qualifiée d’excessive et injuste. Haïti gémit sous une forme d’autorité et de violence morale. Qui plus est, la bourgeoisie est de nouveau au pouvoir, elle qui a toujours été en faveur des Etats-Unis. Souvenons-nous de l’époque de l’occupation américaine. La bourgeoisie, sous le paravent monstrueux du nationalisme a dirigé et malmené le pays après la chute du président Louis Borno en 1930. La masse populaire a toujours servi de tremplin à la bourgeoisie haïtienne. Une bourgeoisie commerçante en décadence constante, car elle est incapable d’entraîner son pays sur la voie du développement durable et du progrès.

« De grâce, ne me lancez pas des pierres, mais soyez plutôt de mon côté. Je suis moi-même de votre côté, malgré tout, car si je parle de vous en ces termes, je parle aussi pour vous comme pour moi, car Haïti c’est notre affaire. »

Il est temps de sonner le glas de la misère et de la pauvreté. La liberté d’expression est maintenue trop longtemps sous les barreaux. On doit cesser d’étrangler la liberté des plus faibles. Ils souffrent véritablement. Ils n’en peuvent plus ces pauvres manifestants, affamés, pieds nus, qui marchent dans les rues pour des causes justes. Si les causes n’étaient pas justes, pourquoi l’État haïtien accepterait-il aussi vite cette semaine une baisse quoique maigre du prix du baril de pétrole ? Pourquoi a-t-il été accepté la démission du premier ministre récemment, bien que certains l’aient vue comme planifiée ?

À l’aune des crises et faits, il faut comprendre que la vie sociale est corrompue, car l’élite politique est corrompue. Honnête, l’élite politique de mon pays ne l’a jamais été. Si de génération en génération la misère ou la pauvreté sévit encore considérablement en Haïti, c’est parce qu’il n’y a jamais eu une politique transparente, généreuse et honnête. Il n’y a jamais eu une politique fondée véritablement sur la primauté de la nation. Et, ce phénomène doit, selon moi, remonter à plus de deux siècles. Nos ancêtres voulaient simplement être libres. Une fois libres, ils se sont laissés, pour la plupart, dominer par l’instinct du tambour-major, pour répéter après Martin Luther King, l’instinct de domination, de tenir le gouvernail à leur façon. Folie de grandeurs, vous savez bien ce que c’est. Pourtant, Haïti entière leur doit une fière chandelle.

Le drame moral que vit le pays est profond. Les injustices ne sont pas imaginaires. L’indépendance du premier peuple noir est à remettre en question. Le parallélisme entre l’esclavage et cette occupation déguisée qui s’appelle impérialisme est évident. Les choses vont de mal en pis. Nous assistons à une résurgence barbare de l’occupation. L’élite politique et filiation profite de cette situation au détriment des masses populaires.  Je ne suis pas contre le phénomène de manifestations, mais je souhaite un meilleur encadrement des mouvements populaires par un leadership organisationnel responsable. Toutefois, sera-t-il possible sans une élite politique civilisée et honnête ?

Éliphen Jean


Un regard sur l’anarchie haïtienne

moun.com
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J’entends souvent dire qu’Haïti est en proie à l’anarchie, en ce sens, sans doute, qu’elle s’y expose. C’est faux. Il faut plutôt dire qu’Haïti est anarchique, ou bordélique, si l’on veut. Et, c’est cette anarchie qui déchaîne toujours les masses populaires. A mon avis, l’anarchie haïtienne est l’expression de l’insatisfaction du peuple dont les conditions de vie, déjà déshumanisantes, empirent considérablement. Elle est alors caractérisée par une rébellion morale ou même violente contre les injustices sociales, les abus de pouvoir, et par un déséquilibre redoutable de la société. Ce déséquilibre est, pour moi, un corollaire obligé des désagrégations continues des appareils d’Etat.

Par ailleurs, je comprends l’anarchie haïtienne comme la désarticulation de l’armature morale qui se manifeste par le non-respect du droit. Le droit est, ici, considéré comme une hiérarchie de normes édictées par les autorités politiques légitimes, en vue d’organiser les rapports sociaux. Paradoxalement, il arrive que ce non-respect ou cette non-application du droit soit le propre de l’Etat, ce monstre énorme, terrible et débile. Alors que le pays devrait être considéré comme l’apanage de tous, il est plutôt le monopole de l’Etat qui l’expose comme une viande en état de putréfaction avancée, dont il faut se débarrasser en toute urgence, aux yeux de l’international. C’est comme l’a montré le sociologue haïtien, Jean- Jacques Cadet, la société haïtienne s’inscrit dans la nouvelle dynamique internationale caractérisée par la marchandisation systématique. Haïti baigne alors dans une marchandisation sordide. Qui pis est, pour flatter l’œil des acheteurs, on dissimule les bons produits (le dessus du panier) sous les produits médiocres (le fond du panier). Je veux dire que les valeurs du pays sont toutes reléguées et maintenues à l’arrière-plan sur la scène politique internationale. C’est la meilleure façon, pour les grands ténors de la politique, d’attirer les investisseurs internationaux.

Un autre aspect de l’anarchie anarchie haïtienne est lié à une crise, dite crise de représentation. De là, se pose la question à savoir si le pays a les dirigeants qu’il faut à la place qu’il faut. Pour certains, notre président actuel ferait mieux d’exercer son talent de chanteur dépravé, comme ils savent le qualifier, où il montre son cul à ses fans. Pour d’autres, nos parlementaires, pour la plupart, devraient plutôt se promener devant la scène politique comme des lèche-vitrines désargentés, au lieu d’être acteurs politiques. Souvent conscient de la misère du peuple et de ses frustrations, notre président machiavélique invoque de temps à autre des prétextes cousus de fil blanc à triple portée : encourager l’espoir, accuser les opposants et incriminer cette misère qui ne date pas d’hier. Quatre ans déjà au pouvoir, cette attitude de propagandiste donne l’impression que l’élection présidentielle n’a pas encore lieu. Sur ce, souffrez que je le dise, notre pays, Haïti, est voué sans appel à la platitude.

Dans le droit fil de politique haïtienne, il appert que l’Etat est velléitaire. Velléitaire, car il ne se décide pas à agir. Plus la misère empire, plus les crises perdurent, plus le pays dépend de l’assistanat international. Ce qui favorise l’enrichissement personnel des autorités politiques. On voit, en effet, à quel point la société haïtienne se débat désespérément dans une anarchie affreuse qui déchire le pays depuis longtemps, au gré des passions politiques. Les masses populaires stagnent dans un dénuement moral profond. La jeunesse s’y trouve, elle aussi, encroûtée. Les jeunes de 20 à 25 ans, dans le bas peuple, se demandent, pour la plupart, pourquoi leur durée de vie est aussi longue. Le fléau de la misère chronique n’est pas un rêve qui va passer. Il sévit. Dès lors, dans le caraïbe, Haïti devient presque la vitrine du chaos et de l’anarchie.

Toutefois, la vie sociale qui se délite sous le poids de l’anarchie, redeviendra, selon moi, possible moyennant un lien fort entre l’action individuelle et l’ordre social. En outre, il faut des actions citoyennes progressistes. C’est-à-dire, des actions visant au progrès politique, social, économique, et qui tendent à la modification de la société vers un idéal d’une nouvelle société. Notre histoire a besoin d’être marquée par une nouvelle ère : une ère progressiste. Aussi, faut-il, à cet effet, une volonté collective déterminée et une prise de conscience collective qui soit, pour paraphraser Durkheim, un partage de ces croyances et de ces sentiments communs à la moyenne des membres de notre société. Dès lors, il est nécessaire que la société soit libérée du poids de cette tradition de crises, si de sa structure doit dépendre l’idéal des uns et des autres.

Éliphen


Mondoblog, notre fil d’Ariane

elphjn01.mondoblog.org
elphjn01.mondoblog.org

La fracture numérique est moins béante aujourd’hui. La liberté d’expression n’est point sous les barreaux. Mondoblog peut en être fier. Fier d’être ce lacis de soie, ce réseau d’araignées qui filent, ourdissent, et tissent leur toile. Des araignées subtiles, mais d’une cruelle sagacité, pour la plupart. Elles capturent l’insaisissable. Elles piègent le temps qui se croit fugitif et indocile. Rien n’échappe à leurs sens. Le quotidien dans ses complexités, est une de leurs proies volantes bernées par les contre-jours du temps.

Par ailleurs, Mondoblog se constitue un véritable point de ralliement. Il rallie les blogueurs ou araignées d’ici et d’ailleurs autour d’un même but : écrire pour interpeller les consciences et transformer le monde. Chaque billet a ses résonances. Et, qui que l’on soit, on doit être nombreux à y trouver un pan de son vécu personnel. Car, ceux qui écrivent se veulent, pour la plus part, antidotes du quotidien lassant. Car, pour écrire, certains, comme moi, ne choisissent pas. Ils prennent tout. Ils s’étonnent de tout. Ils glanent. Ils grappillent un peu partout. Insatiable curiosité. Inlassables explorateurs de l’insondable monde numérique. Voilà ce que je réalise, en y étant, moi aussi, un fidèle lecteur de billets.

En gros, voilà ce que je veux dire. Mondoblog est, pour moi, cette pelote de fil qu’Ariane remet à ces araignées pour ne pas s’égarer tous ensemble dans le labyrinthe de ce monde en ruine. Ce monde où se débat l’humanité souffrante. Ce monde en proie aux atrocités assassines. C’est donc, je le vois ainsi, notre fil d’Ariane à nous, désormais : Mondoblog. Un phare qui signale les parages dangereux du silence…

Toutefois, si libre d’écrire qu’on puisse être, on risque de se trouver sur le fil du rasoir comme un noyé au fil de l’eau, si on ne ménage pas cette liberté. Car, dès lors qu’on blogue, on tend à exercer son talent de journalisme. On dévoile. On dénonce. On critique. On satirise. On analyse. Dans ce cas, le but du blogueur, pour moi, n’est ni de déplaire ni de complaire. Il consiste avant tout dans la mise à nu de la réalité, bien qu’à sa façon. C’est pourquoi il doit adopter l’attitude du journaliste qui remue sa plume dans la plaie, sans ignorer le sort qui l’attend.

Nonobstant une conscience professionnelle, un blogueur risque de se faire « charlicider » (c’est-à-dire se faire tuer innocemment comme Charlie), s’il se complaît à dire des vérités toutes crues. On connaît bien le salaire de la vérité. Mais, vaut mieux mourir en avouant de telles vérités que de mourir sans les avouer. Leur aveu pourrait faire plus de bien que de mal. Alors, ne taisons pas la vérité. Ne la gardons pas au fond du puits. Notre langue n’appartient pas aux chiens.

Éliphen Jean


Dans mon pays, les immondices servent d’adresses

eseaucitadelle.blogspot.com
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Incroyable, mais vrai. En Haïti les ordures permettent d’identifier l’emplacement d’un domicile, d’un établissement ou  servent d’indicateurs. Bizarrement, on s’en sert. Imaginez-vous, un bon matin ou un bel après-midi, dans les rues de la capitale ou de la deuxième ville du pays, Cap-Haïtien. Vous devez rencontrer quelqu’un. Vous êtes comme perdu en chemin. Alors, vous téléphonez à ce quelqu’un pour savoir où il est. Vous savez ce qu’il répondra ? Vous n’en croirez pas vos oreilles.

– Veuillez m’attendre à la rue 11 J, vous trouverez un tas d’immondices tout près. Quant à moi, j’traverse à peine la rue 17 I, j’vais prendre le Collège Modèle. J’ai déjà passé l’amas d’ordures. Donc, vous pouvez voir que j’suis pas loin d’arriver…

C’est ainsi que répondra votre quelqu’un. E, voilà que vous endurez pendant environ 45 minutes d’attente, la pestilence qui se dégage du tas d’immondices près duquel vous êtes… Ne vous étonnez pas trop si quelqu’un d’autre vous donne rendez-vous en vous disant, sans aucune gêne, qu’il habite devant l’amas d’ordures le plus élevé, ou plutôt derrière cet amas.

Les immondices constituent, en effet, un véritable mal nécessaire, pour certains. Par ailleurs, lorsqu’elles sont empilées ou pile sur pile, elles sont comparables à des gratte-ciels. Les rues de mon pays, de ma ville plus particulièrement, regorgent, pour la plupart, d’ordures. Cependant, on ne cesse d’entendre un peu partout le slogan « Lari a se salon pèp la (les rues représentent le salon du peuple)». En outre, on ne peut parler de scènes de la rue sans évoquer les tas d’immondices qui représentent, eux aussi, chez nous, un symbole vivant et significatif de la vie urbaine. On en trouve à tous les coins de rue. La ville de Cap-Haïtien, jadis Cap-Français, devrait aujourd’hui s’appeler Cap-Ordures. La mer comme attrait touristique devient un dépotoir, ce qui révèle une défaillance grave du service de ramassage et de collecte d’ordures.

20minutes.fr
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Ce phénomène ne date pas d’hier, mais, si je ne me trompe, après le régime de Duvalier. Les bennes à ordures du service métropolitain de collecte des résidus solides ne font que tourner en rond. En un clin d’œil, un coin de rue fraîchement nettoyé se retrouve bourré de détritus. La question de ramassage reste un véritable casse-tête, malgré les campagnes d’assainissement. C’est en effet un problème de mentalité. La mentalité de la population est dite primitive. Primitive parce que la population ignore les formes sociales des sociétés dites évoluées. Par ailleurs, on se demande si ce phénomène n’est pas lié à l’exode rural, c’est-à-dire à la déruralisation ou au dépeuplement des campagnes au profit des villes.

Éliphen Jean


J’en appelle à l’honnêteté

Web
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La terre n’est pas seulement peuplée de méchants, mais aussi de bons. Il y a des gens dont le cœur est creux et plein d’ordure, il y en a dont le cœur se répugne aux souillures de la vie et surabonde en humanité. Ce cœur est d’une intransigeance puritaine, pour répéter après Romain Rolland, cet écrivain français du 19è siècle. Ce cœur pleure l’humanité souffrante, et semble saigner à chaque battement. Les gens d’un tel cœur luttent, sans compter sur un gouvernement, contre les plus terribles calamités qui fondent sur leur pays : la famine, les épidémies… Ils prennent des mesures contre les fléaux sociaux : l’alcoolisme, la drogue… Alors, ils participent. Ils posent leur petite pierre, ce qui montre leur ambition d’avoir un jour un rocher. Ils se reconnaissent chacun un maillon de cette chaîne qui est le monde. Un maillon ténu, mais infrangible. Ils se sentent tout simplement interpellés, car le monde c’est aussi leur affaire. Ils agissent, car l’action humaine, pour eux comme pour Teilhard de Chardin, est la moelle épinière du monde. Ce sont donc des acteurs sociaux qui comprennent que la société est l’union des hommes, comme écrivait Montesquieu. En effet, ils sont, ces gens-là, foncièrement charitables. Leur charité ne s’enfle pas d’orgueil, et ne cherche pas son intérêt. Ces gens-là font non seulement, pour la plupart, des dons ou des générosités dans des communautés défavorisées, mais la misère dans leur pays éveille en eux, avant tout, des résonances profondes. Être charitable, selon Henry Grouès Pierre dit l’abbé, ce n’est pas seulement donner, c’est avoir été, être blessé de la blessure des autres. Cet homme savait mener son combat contre l’exclusion sociale et la pauvreté, ce qui a fait de lui une figure emblématique de la vie politique et sociale française.

Haïti, quant à elle, ne saurait être peuplée seulement de méchants. Mais, où sont passés les bons ? Ils sont au nombre de combien ? Sont-ils sourds ou aveugles ? Haïti a besoin d’espérer. Haïti veut retrouver sa tête altière de jadis, comme le cygne élevant son cou gracieux par-dessus le marécage. Elle rampe trop longtemps de son ossature… Les inquiétudes rampent graduellement au fond de la jeunesse.

J’interpelle davantage ici la conscience de tous. La mienne est aussi interpellée. J’exhorte les bons et les méchants. J’exhorte les responsables politiques, les militants, les autorités religieuses, à se pencher sur cette jeunesse consciente qui a soif de réussite, mais qui a soif aussi d’espérer… Ce peuple qui aspire à vivre normalement comme un peuple humain. Nous entendons tous les cris aigus et déchirants, tantôt étouffés, tantôt inarticulés, de nos frères et sœurs haïtiens… Tout le pays en résonne. Ces cris viennent de la matrice éventrée de cette femme en mal d’enfant qu’est Haïti. Cris de fureur, de colère, de douleur, de désespoir. Cris de rage.

Je demande aux hommes politiques de réfléchir même un peu sur le sort qui s’acharne sur ce peuple qui est nôtre. J’en appelle à l’honnêteté des uns et des autres. La jeunesse haïtienne est trop longtemps sacrifiée à l’autel de l’injustice et du désespoir. Elle est trop longtemps brûlée au bûcher de l’orgueil, de l’égoïsme, de la vanité, de l’enrichissement personnel. Réfléchissez, et dites-vous si cela en vaut la peine que vous fassiez de la politique. La politique, ne consiste-elle pas à placer l’intérêt général au-dessus des ambitions personnelles ? Ne serait-ce pas beau de dire un jour : regardez comme notre pays rayonne et prospère ?

Chers compatriotes, j’ignore combien de vous liront ces mots, mais je vous rappelle la légende de notre pays : l’union fait la force. Quand est-ce que cette légende deviendra-elle une réalité ? Haïti, soyons persuadés, serait plus forte si elle était unie. Une Haïti unie n’est pas une Haïti sans frontières intérieures, mais une Haïti aimée, adorée.

J’en appelle à l’honnêteté. J’en appelle à votre cœur. Honnêteté de part et d’autre. Vous qui avez le pouvoir, vous qui êtes riches, je vous supplie de faire quelque chose pour changer le quotidien des nôtres. Haïti est notre affaire. J’interpelle la conscience des autorités religieuses notamment protestantes. La quête qui se fait quotidiennement dans les temples que vous dirigez peut se faire aussi au profit de votre communauté. Construisez des entreprises, vos fidèles ont, pour la plupart, besoin d’emploi. A quoi bon d’évangéliser, de faire croire aux fidèles qu’ils ne manqueront de rien comme il est dit dans le psaume 23, alors que des enfants de vos temples ne peuvent pas aller à l’école ? En vaut-il la peine, alors que vos fidèles viennent à l’église affamés ? Il est temps de voir plus loin, il est temps de penser pour demain.

Voyons Haïti comme un corps dont nous sommes chacun un membre, et portons assistance aux membres malades en vue de maintenir ce corps bien portant. Haïti est souffrante.

Éliphen Jean


Il y a des vautours en Haïti

matierevolution.fr
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Rien n’est plus immuable que la nullité. Et, la civilisation haïtienne est, pour moi, d’une nullité lamentable. Alors qu’elle devrait avoir fondamentalement pour but le progrès de l’Être haïtien, et résoudre les problèmes qui se posent aux uns et autres, elle se désarticule au gré des hommes politiques… Nous assistons toujours à contrecœur au retour cyclique des crises systémiques et corollaires obligés. C’est-à-dire que ces crises se renouvellent dans un ordre immuable où les partis politiques, au détriment de la masse populaire, s’escriment à régner sans discontinuité. Nous assistons donc à une prolifération de vautours dans la faune politique. Des vautours prolifèrent, car Haïti leur est une charogne vivante. Les citoyens de petites organisations dites communautaires sont pour la plupart des nécrophores, ce sont de petits rongeurs : ils écrivent des projets, abusivement appelés projets de développement ou communautaires, ils reçoivent des subventions à cet effet, et les projets ne se réalisent pas. Ils exploitent tous alors impitoyablement des malheurs des uns et des autres.

Ces situations où Haïti est au ban des nations, ne font que perpétuer la misère. Tout un peuple s’étouffe sous le joug de la nécessité. Les locomotives électorales et notamment parlementaires, je parle ici des leaders politiques, engagent des luttes antigouvernementales sans fondements et sans effets positifs. Ces luttes sont alors platoniques, puisqu’elles n’aboutissent pas, pour moi d’ailleurs, à des conclusions dans le domaine de l’action politique positive. Or, sous l’enveloppe changeante de ces situations, nous devrions tous penser à sonner le glas de la misère, des impérialismes économique et culturel, et de cette colonisation caractérisée par la destruction des valeurs originales par des valeurs étrangères, pour paraphraser Léopold Sédar Senghor.

Au-delà des phénomènes sociopolitiques, je veux poser le problème sociologique lié à l’articulation civilisation-culture-société, une trilogie qui doit servir de base à la construction ou au renouvellement d’une nouvelle société haïtienne. La civilisation, comme ensemble de phénomènes sociaux et de caractères communs à une société, ne doit pas être quelque chose d’imposé à une majorité récalcitrante par une minorité ayant compris comment s’approprier les moyens de puissance et de coercition, comme le voit d’ailleurs Sigmund Freud. Mais, plutôt, comme une passerelle du problème des cavernes de l’homme à celui de l’homme des cavernes, jusqu’à l’éboulement des cavernes. C’est-à-dire un peu le contraire de ce à quoi Edgar Morin1 assimilerait la civilisation. Tout ce qui menaçait l’homme du dehors, les grands périls, les ténèbres nocturnes, la faim, la soif, les fantômes, les génies, les démons, tout ce qui le maintenait dans une insécurité fondamentale, ne doit pas passer à l’intérieur et menacer du dedans. Ce doit être là, un objectif de la civilisation, un objectif de notre civilisation.

Par ailleurs, je me demande si la civilisation, comme l’a montré François Mitterrand, ne doit pas commencer avec l’identité, ou si l’identité n’en est pas plutôt une composante. Dès lors que la civilisation peut consister à faire passer à un état social plus évolué (dans l’ordre moral, intellectuel, artistique, technique) ou considéré comme tel, elle s’inscrit, à mon avis, dans une démarche de socialisation. Cette démarche doit se réaliser au fil d’une succession d’intériorisations et initier chez les acteurs sociaux toute une inversion de valeurs. Au gré de cette démarche ou ce procès de socialisation, se consolident les fondements culturels de la société. Parler de tels fondements, c’est parler de l’identité, car ils déterminent le mode de vie légitimé de la société qui s’appelle, selon Platon, culture. Ces fondements, j’ajoute, n’étant pas une forteresse inexpugnable, requièrent le respect mesuré des normes.

Certainement, vous vous posez cette question à savoir pourquoi notre civilisation est d’une telle nullité. La réponse est bizarrement simple. La civilisation haïtienne est nulle, car, telle qu’elle est façonnée depuis deux siècles déjà, s’avère incapable de corriger l’éventail des phénomènes sociaux qui la constituent. Et, je ne trouve pas encore d’épithète juste pour la peindre. Elle est anomique ou peu orthodoxe. C’est cette anomie qui détermine l’écroulement ou l’affaiblissement de notre civilisation, et qui conditionne les mauvaises actions populaires. Une action populaire est, chez nous, une suite d’actes désespérés qui permet de gagner l’espoir, et engagée généralement par le peuple. De là, je me demande si la démocratie suicidaire que nous avons en Haïti ne contribue pas à cet affaiblissement. Chacun vit comme bon lui semble. Les opposants et les gouvernants s’acharnent sans arrêt. La politique est meurtrière. Les hommes élus par le peuple veulent régner à vie, ce qui me donne lieu de parler ironiquement d’une dictature démocratique. Ici, j’invite à considérer la dictature comme la forme la plus complète de la jalousie, car le pouvoir est, pour moi, une mine d’or inépuisable. C’est pourquoi les grands ténors de la politique, les gouvernants notamment, deviennent aussi des virtuoses de l’oppression. Or, Haïti est un pays dit démocratique…Voilà une situation qui permet de comprendre notre démocratie comme un paravent à travestir cette dictature où le pays devient propriété, et le peuple objet. Mais, comme disait Georges Duhamel, chaque civilisation a les ordures qu’elle mérite. Et, notre civilisation se vide tellement de sa substance qu’il n’en reste même plus l’écorce.

Dans le désordre actuel du pays, outre la nécessité d’une politique de civilisation et de socialisation des transitions, le premier devoir des responsables politiques est de resserrer le tissu des relations sociales. A cet effet, il est vital d’engager plutôt des conflits positifs, susceptibles de faire bouger le pays. Il est temps de sortir le pays du lacis inextricable des crises pour le mettre enfin sur les rails. Ce n’est pas la tâche du président, mais celle de tous. C’est aussi la tâche des opposants qui investissent beaucoup d’argent contre les gouvernants en réalisant des manifestations délirantes, au lieu de construire des projets durables. Mais, ils sont aussi des rapaces, des jaloux du pouvoir tout simplement. A l’heure qu’il est, nous devons ensemble ressaisir notre civilisation, si nous en avons une, ou notre société en la basant sur le culte des valeurs, de la patrie, de la justice, du passé, mais surtout sur le culte de l’union. Haïti réclame le contraire de cette politique politicienne, c’est-à-dire qu’elle veut plutôt une politique progressiste, clairvoyante et généreuse.

Éliphen Jean

1.- « Avec la civilisation, on passe du problème de l’homme des cavernes au problème des cavernes de l’homme. Tout ce qui menaçait l’homme du dehors, les grands périls, les ténè¬bres nocturnes, la faim, la soif, les fantômes, les génies, les démons, tout ce qui le maintenait dans une insécurité fondamentale, tout cela passe à l’intérieur et nous menace du dedans. »
Edgar Morin (1921-)


Le racisme, un regard qui classe sans appel

angersmag.info
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Le racisme, c’est un chapitre qui a fait couler beaucoup d’encre dans l’histoire des Noirs et qui est loin d’être clos. Pour comprendre ce phénomène, on doit remonter dans le passé où les grandes découvertes de la Renaissance (la navigation autour de l’Afrique, la découverte des Amériques, etc.) ont confronté les Européens à l’existence de sociétés très différentes des leurs. Ce qui souleva des questions et de grands débats : les Indiens d’Amérique, les nègres d’Afrique étaient-ils des animaux ou des hommes ?

Certainement, pour les hommes de religion, ils étaient des créatures de Dieu à convertir. Pour d’autres, ils appartenaient à des espèces humaines inférieures. Ils étaient incapables de se gouverner par eux-mêmes. Des races supérieures doivent alors les humaniser et civiliser. De là, ces nègres étaient spoliés, réduits en esclavage, voire oppressés. En outre, dès la IIIe République, les manuels d’histoire présentent quatre « races » humaines en fonction de la couleur de la peau (les Blancs, les Noirs, les Jaunes, les Rouges), sans se soucier de la moindre rationalité scientifique. Et ces mêmes manuels tentaient ainsi de légitimer la colonisation, en soutenant la « mission civilisatrice » des « races inférieures » par la « race blanche »…

Les idéologues nazis, se basant sur tous ces préjugés historiques, nationalistes, racistes et antisémites, ont hiérarchisé les races, et souligné plusieurs niveaux de « discriminations ». Le peuple allemand était dit biologiquement supérieur à ses voisins, notamment au peuple français, alors qu’au contraire les Slaves étaient considérés comme des « sous-hommes » bien qu’étant « Blancs » et Européens ; quant aux juifs, ils étaient présentés comme une race biologiquement caractérisable et comme la plus « basse » de toutes. L’antisémitisme revêt donc l’une des formes du racisme. Une forme irréductible à toute autre, car au gré de l’antisémitisme, a été commis un crime de masse le plus organisé, voulu, et le plus indélébile de toute l’histoire de l’humanité.

En effet, en ces moments très agités où les miens – je parle des Noirs d’Afrique – endurent encore des discriminations, je crois qu’il faut davantage de luttes contre le racisme au nom de l’humanité. Lutter contre les discriminations, c’est s’engager à abattre les cloisons entre les sociétés. Montaigne, dès le début du 16e siècle, affirme que chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition : toucher à un homme, c’est toucher à toute l’espèce humaine. Deux cents ans plus tard, les philosophes des Lumières jugent nécessaire d’émanciper le genre humain, car c’est à l’humanité entière que s’adresse la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. La notion de « race » ne manifeste en aucun cas une réalité, mais un fantasme. Donc, les racismes n’ont aucun fondement scientifique. Ils constituent l’expression délirante d’appétits de domination, et de la crainte d’être dominés.

Comme l’injure et la diffamation, le racisme est condamnable, puisque la parole raciste se prononce toujours au préjudice des autres, et qu’il est incompatible avec le respect mutuel. D’ailleurs, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 souligne que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Ces textes révèlent alors l’inspiration de Montaigne proclamant que l’injustice faite à un seul Homme est toujours faite à toute l’humanité. Il s’ensuit alors que les droits sont indivisibles, mais aussi que les hommes sont égaux puisqu’on porte chacun en soi toute l’humanité. En effet, le racisme, si l’on comprend bien, va à l’encontre des droits universellement reconnus à tous, à raison de couleur de peau, d’origine ou d’autres critères.

Par ailleurs, il faut souligner que le racisme n’est donc pas un phénomène qui peut être dompté facilement. Certes, on ne naît ni raciste ni antiraciste. On ne naît pas non plus avec cette manière de penser. Mais, on naît égoïste. Pour moi, on n’aime les autres si souvent que parce qu’on n’a besoin d’eux. L’égoïsme enseigne donc l’amour. Le racisme est tout à fait empreint d’égoïsme. Le racisme se manifeste même entre Noirs. Les Noirs de teint clair se croient, pour la plupart, meilleurs que ceux de teint foncé. Toutefois, je n’oublie pas de reconnaître que c’est un fait culturel, un virus transmissible et redoutable. Il n’y a pas de sociétés sans frontières intérieures et sans préjugés. Le racisme, comme le disait Frantz Fanon, n’est pas un tout, mais l’élément le plus visible, le plus quotidien, pour tout dire, à certains moments, le plus grossier, d’une structure donnée. Cependant, lorsqu’on associerait au racisme des phénomènes de concurrence, il paraîtrait alors le pivot de rivalités économiques et sociales. Le racisme serait ici positif s’il constituait une piste d’émulation. Mais, né de l’ignorance, de crainte, de l’absence d’éducation aussi, il se fonde sur de fausses évidences.

Lorsqu’on me pose la question à savoir si l’on peut combattre les préjugés racistes, je réponds oui. Dans la mesure où l’on reconnaît l’humanisation comme un fait de culture. Dans la mesure où aussi l’école fournit tout un savoir sur l’humanité et sur le monde réel, en vue de faire comprendre et accepter les différences entre les êtres humains. Mais, qu’en est-il de ces écoles que les parents riches ou bourgeois veulent voir inaccessibles à des pauvres en exigeant eux-mêmes une éducation plus coûteuse ? La lutte contre les discriminations, notamment racistes, suppose d’abord un engagement vigilant de tous les citoyens attachés à l’égalité et à la démocratie. Elle suppose une prise de conscience d’appartenir à un même monde.

Eliphen Jean


nostalgie

web
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Mes paupières baissées
descendent tristement
leur rideau
sur mes années giclées
écorchées jusqu’aux plaies du rire
et
de l’autre côté du miroir
rebondit le temps impalpable
dans sa tourmente

je cesse alors de voir le temps
giclé par des volutes de sueurs
à force d’user la trame de ma vie

je cesse aussi de voir ces peuplades
de nègres d’Afrique
qui défraient en tout temps les injures
tisser leurs vies au fil du temps
sur des toiles d’anarchie
avec l’aiguille épointée des jours…

Eliphen Jean


Haïti, ses séismes politiques et conséquences

haitilibre.com
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Voir Haïti « comme un risque de séismes politiques » est une erreur. Nous savons bien ce qu’est un risque. Danger éventuel plus ou moins prévisible. Comme beaucoup de pays, Haïti ne cesse de connaître des bouleversements politiques, dits séismes en raison de leurs dévastations. Ces bouleversements sont constants et la détruisent systématiquement. Dans ce cas, à l’aune des faits, peut-on vraiment parler de risque ? Non. Mais, plutôt d’une situation qui dégénère au quotidien. Pour faire comprendre cela, il est importe de faire le point sur les différentes crises qui désolent le pays depuis longtemps. Nous n’avons pas, ici, la prétention de reconstituer le passé avec tout son éclat d’antan comme pour nous en enorgueillir, alors que le pays est en trouble constant. D’ailleurs, ce passé qui enorgueillit plus d’un est marqué par l’esclavage, le colonialisme, la dictature et l’instabilité politique. On a même l’impression que ce passé est encore présent, puisque les crises dites actuelles sont les mêmes qu’autrefois, mais plus graves. En effet, l’histoire sociale haïtienne est tissée au fil d’une situation sociopolitique de plus en plus insoutenable et désespérée. Les crises y afférentes, pour certains, sont toutes génératrices de chômage et d’instabilité, et maintiennent le pays dans la misère. Jetons ensemble un coup d’œil sur ladite situation pour comprendre qu’Haïti est depuis longtemps secouée par des séismes politiques.

Crises systémiques

Les crises du pays sont avant tout d’ordre systémique. Elles se disent systémiques puisqu’elles sont liées au système politique qui s’identifie à l’État dans son mode de contrôle d’une société globale. On parle alors de crises systémiques quand le système se désagrège, et que sa désagrégation découlant de perturbations politiques constantes se combine avec d’autres facteurs y relatifs pour miner l’organisation sociale ou ronger le tissu des relations sociales. Ces crises, dans une évolution socio-historique, donnent lieu d’accuser impitoyablement les hommes d’État de prévarication, et s’aggravent au fil des jours dans la trame des bouleversements politiques. Elles succèdent si souvent à des phases de stabilité où l’organisation sociale se rétablit, quoique pour peu de temps. Parlant de crises systémiques, je vois des crises comme celles de 1843-1848, 1867-1870, 1908-1915 et 1986 à nos jours. Mais, il n’y a pas que celles-là. Nous vivons d’ailleurs dans une civilisation de crises où le déséquilibre structurel devient, pour la plupart, chaque jour permanent. Dans cette perspective, ces périodes de perturbations politiques conduisent à une plus grande crise, dite crise du système de société où elles affectent la vie sociale dans tous les champs. En d’autres mots, on peut parler de crise systémique généralisée ou multisectorielle, caractérisée, pour moi, par les mobilisations populaires, les instabilités politiques, les conditions de vie déshumanisantes, etc.

Mobilisations populaires

Les mobilisations populaires sont des éléments forts qui, pour moi, caractérisent les crises systémiques. Cependant, elles n’aboutissent pas toujours à des résultats adéquats. Les résultats sont souvent hors de proportion avec la cause, la réparation de préjudices subis, réels ou imaginaires. C’est pourquoi on peut, dans ce cas, parler de quérulence ou de délire de revendication. On peut aussi qualifier les opposants au pouvoir, pour la plupart, de processifs. Il arrive que les revendications sociales ou mobilisations légitimes puissent opérer des changements radicaux au niveau des appareils d’État. Mais, des mobilisations populaires dans un pays comme le nôtre, où les intérêts des plus faibles sont loin d’être pris en compte seront généralement tyranniques. Tyranniques, pour la simple et claire raison que pour Marx, les appareils d’État [sont] les appareils répressifs et idéologiques organiques d’une classe, la classe dominante, comme l’a montré le philosophe français du 20e siècle Louis Althusser dans ses travaux scientifiques sur Marx. En effet, pour comprendre mieux la dynamique des crises en Haïti, il faut une lecture bien scientifique, précisément sociologique, de la réalité, au-delà même d’une lecture « idéologique » des influences et des évolutions.

L’état des conditions de vie

En ces moments très agités, il peut être constaté que l’aggravation graduelle des conditions de vie est une caractérisation des crises systémiques et d’autres y affèrent, outre les mobilisations populaires. La question de la vie chère relie toujours les grandes crises du pays. Les moments aigus de rareté, de dépréciation de la monnaie et de hausse des prix des articles de première nécessité, résultent non seulement des crises, mais favorisent aussi la bourgeoisie et l’impérialisme économique international. Ce sont des situations désastreuses qui perdurent, et ceci, depuis longtemps. Jean-Pierre Boyer a déjà fait lui-même ce constat, dans une proclamation du 20 juillet 1837, que la rareté des objets de première consommation faisant hausser leur prix, a rendu plus difficile la subsistance du peuple (…). Aujourd’hui encore, des témoignages, des articles, des textes abondent sur l’acuité de la crise socioéconomique. En effet, à l’aune des faits, on ne peut vraiment pas parler de crises contemporaines, mais plutôt de crises perdurables ou chroniques qui ont, bien sûr, jalonné notre histoire. Haïti est constamment la proie de séismes politiques.

Vu la situation sociopolitique chronique d’Haïti, je me permets de parler, en gros, de « guerre de situations sociales », une expression de l’historien Auguste Magloire, au-delà des rivalités politiques que je qualifie de rivalités d’intérêts, mesquines et même sournoises. Ce ne sont pas des rivalités à faire bouger le pays. Ce qu’il faut plutôt, c’est, d’une part, l’esprit d’émulation : s’opposer, ou même s’acharner, tout en étant animés par le désir de s’égaler ou de se surpasser en mérite, en savoir et en travail. D’autre part, la polarisation des forces ou des influences des classes en conflits en vue de même entraîner Haïti sur la voie du progrès mécanique. C’est une utopie réalisable.

Éliphen Jean


Revenir en arrière, un véritable tremplin

images-josette.blogspot.com
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On ne peut pas revenir en arrière, disent certains. Certes. Mais, on peut fouiller jusqu’au repli obscur et inexploré de sa conscience. On peut ainsi parvenir à se corriger et apprendre de ses erreurs. Apprendre pour évoluer, avec la sagesse qu’on ne peut pas refaçonner son passé.

Sortir de l’angoisse vers l’extase, tel est le but de certains. Telle est peut-être votre détermination. Quant à moi, c’est un dessein que je veux impénétrable. À cet effet, s’impose un ensemble de réactions à nos actes. C’est-à-dire que nous devons non seulement comprendre nos actes, mais aussi y répondre de façon rationnelle. Il nous faut peser nos actes à la balance de la raison. Nos réactions doivent être logiques et bien pensées, afin de superposer à nos actes une action nouvelle, positive ou plus positive.

J’interpelle, ici, une conscience qui soit un trait d’union entre notre passé et notre avenir, sans pourtant nous couper de nos racines. Car, nos racines constituent la base sur laquelle repose l’équilibre de notre vie. Cette conscience, pour qu’elle soit efficace, nécessite le concours d’un esprit élevé et fort. Quand je parle d’esprit fort, je vois un esprit auquel l’obstacle sert de tremplin pour s’élever à la raison. Cet esprit se réalise toujours avec conscience dans la réalité. En effet, quand on est conscient de ses actes, surtout de soi, et qu’on en tire une certaine leçon par la raison, il devient plus facile de déterminer son avenir et d’avoir une vie rassurante.

Si l’extase, du latin extasis, signifie « l’action d’être hors de soi », cet état doit être atteint dans un tête-à-tête avec soi-même. Sans ce tête-à-tête, la folie ferait irruption dans l’esprit, et s’obscurcirait le soubassement organique de l’instinct. Sans ce tête-à-tête, les contingences du quotidien auraient raison de nos rêves et nos ambitions. Sur ce, pour peu que nous soyons conscients, non seulement de nos actes, mais aussi de nos erreurs, nous avons la chance de faire mieux ou de prospérer. Une prise de conscience, c’est ce qu’il nous faut quand on ne peut pas revenir en arrière. C’est comme disait Paulo Coelho : « Quand on ne peut revenir en arrière, on ne doit se préoccuper que de la meilleure façon d’aller de l’avant. »

Toutefois, s’il faut revenir en arrière, c’est pour réviser nos actions, non pour rendre nos débuts flamboyants. C’est dans cette démarche révisionnelle que nous parviendrons à appendre et nous corriger de nos erreurs, en vue de nouvelles perspectives. Cette démarche, si elle est pensée et planifiée, peut nous révéler des horizons même insoupçonnés. On ne doit pas revenir en arrière par regrets, car ce que nous avons perdu est irrécupérable. Nous pouvons plutôt, si nous le voulons, démarrer à partir de maintenant pour une fin flamboyante. Ceci dit, au lieu de nous perdre en regrets, enrichissons, de préférence, notre présent d’actions positives pour que demain soit meilleur.

Éliphen Jean