Eliphen Jean

Haïti : ruines et ruptures

niarela.net
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À ceux-là qui tiennent les rênes de l’Etat depuis des ans, à ceux-là qui se disent militants, mais qui militent au détriment des uns et des autres, à ceux-là qui s’opposent indéfiniment au pouvoir, à l’ensemble de la société haïtienne, il se pose, ici, une question qui devrait chaque jour se poser : quel modèle de société souhaiteriez-vous pour demain ?

Vu cette Haïti que nous avions depuis deux siècles déjà, qui va sans cesse à sa ruine et dont la ruine est entraînée par la rupture de l’unité nationale, et le fait que la société est, elle aussi, en rupture avec sa propre tradition ; vu cette vélocité avec laquelle la société se précipite vers sa propre ruine, une vélocité, pour dire comme Honoré de Balzac, comparable à celle d’une ombre, et avec laquelle un enfant se glisse sous le porche d’un escalier, il se donne lieu de parler de la rupture des espérances… d’où la nécessité d’avoir un modèle de société, de passer de la primitive à l’évoluée, d’avoir une société qui n’ignore pas les formes sociales et les techniques des sociétés dites évoluées.

A l’heure qu’il est, notre société a besoin d’être en rupture de ban, non avec sa tradition et les normes sociales… elle a, autrement dit, besoin de s’affranchir des contraintes de son état. Dès lors, il faut un regard pluriel sur l’effroyable complexité de la vie en Haïti. En d’autres termes, un regard sur la multiplicité des crises sociétales, la diversité des conditions de vie, et cette pluralité de partis politiques dans une même vision, dite vision de changer positivement le pays. Cette rupture à laquelle je fais ici allusion, exige une prise de conscience que nous sommes tous, Haïtiens, un seul peuple. Je veux souligner, ici, qu’il est vital que toutes générations confondues s’engagent, au-delà des préjugés qui s’opposent à l’émancipation complète de la génération montante, à faire renaître Haïti. Haïti doit renaître à l’espoir, comme une végétation au printemps. Cette génération montante est cette génération sacrifiée ; cette génération sacrifiée est cette jeunesse qui doit prendre la relève. C’est dommage que le fossé des générations ne fasse que se creuser davantage. N’est-il pas donc nécessaire un consensus intergénérationnel, un consensus social contre la crise générationnelle ?

En effet, le modèle de société dont il est question dans ce billet, doit être cette société libre des contraintes de son état, ou plutôt, des conséquences obligées et logiques des crises multiples qui frappent en cadence, et dont la cadence s’accélère au gré des ambitions politico-économiques. Une telle société doit alors sortir d’elle-même pour s’ouvrir au monde, elle a alors besoin de cette consolante inversion de mœurs corrompues, dissolues et relâchées, mais terriblement opérantes au fil de nos deux siècles… Où sont passées les valeurs morales, sociales, esthétiques de jadis ? A mesure de vouloir être libre, la société haïtienne s’aveulit considérablement sous le poids de son grand dénuement moral. Elle vit au mépris des normes et conventions.

Ruines et ruptures, caractéristiques criantes de la vie sociale en Haïti. Toutefois, peut-on parler simplement de ruptures d’équilibre, alors que les crises sont pérennes ?

Eliphen JEAN


Une conception du temps

Quelque soit sa tactique, l’horloge du temps fait toujours tic-tac, elle égrène ses heures au gré de son impatience. Pour rien au monde, le temps ne suspendra pas son vol. Où est-ce qu’il va ? On ne sait pas, ou plutôt, on ne saura jamais. C’est pourquoi il vaudrait mieux savoir employer le temps, au lieu de vouloir aller à son rythme.

Le temps est ce personnage principal dans la tragédie de la vie humaine. Il est impalpable dans sa course, on ne peut pas le mesurer. Il est en effet absurde de parler de la fin des temps ou de la vie. Parler de la fin des temps, c’est comme prétendre que Dieu a lui aussi une fin, or Dieu ne peut pas exister en dehors du temps, et même en dehors de l’espace. C’est en ce sens que, pour Isaac Newton, Dieu constitue le temps et l’espace. La vie, quant à elle, est une énergie qui anime les matières. Ce qui peut amener à penser qu’il n’est pas d’être qui soit inanimé, mais dépendant de l’homme ou de forces ou de lois naturelles. Un objet abîmé ou détérioré est, pour moi, un objet vidé de la vie. La détérioration serait alors une conséquence de la viduité des matières. Par ailleurs, le temps n’est-il pas vraiment l’ordre des successions possibles, comme le voit Leibniz ?

Comme dit le vieux dicton latin, sicut umbrae dies nostri : nos jours passent comme des ombres. Le temps ne suspendra pas son vol. La vie ne finira pas. L’éternel sablier du temps se retournera toujours, ou plutôt celui de l’existence. L’énergie de la vie est inépuisable, elle peut animer les matières une quantité innombrable de fois. C’est comme disait Friedrich Nietzsche, tout va, tout revient, la roue de l’existence tourne éternellement. (…) A chaque instant commence l’existence, autour de chaque « ici » gravite la sphère là-bas. C’est pourquoi, selon moi, on ne peut même supposer que le temps puisse avoir une fin, à moins que Dieu soit mortel.

Je devrais me permettre de parler aussi de l’espace, car pour vivre ou exister, il faut le temps et l’espace. L’espace, pour Pierre Burgelin, dans son œuvre l’Homme et le Temps, forme l’antidote du souci et la sagesse populaire a raison de penser que les voyages calment les peines. Comme dans la hiérarchie sociale, les voyages s’inscrivent simultanément dans le temps et l’espace.

Si l’Homme pouvait mesurer ou maîtriser le temps, certaines choses n’auraient pas de sens dans la vie, comme les dettes, la promesse, la patience… On miserait sur la possibilité de modifier le temps pour payer ses dettes plus facilement, pour mieux respecter ses promesses, et on s’empêchera d’attendre trop longtemps. Pourquoi devrait-on vraiment être patient alors qu’on peut avancer ou rythmer le temps ? Le temps n’est pas comme notre réveil.

Eliphen Jean


Je suis Kenya

J’ai vu des Noirs d’Afrique crier « Je suis Charlie ! ». Je les ai vus. Ils étaient, pour la plupart, unanimes à penser que justice se doit à Charlie qui n’était pas Noir. J’ai aussi assisté à des manifestations virtuelles auxquelles j’ai moi-même participé. Des mobilisations internationales et des débats ont fait le plein d’audience à la télévision. Des cris d’indignation et de vengeance fusèrent de toutes parts, des quatre coins du monde… Et, force est de constater enfin, sur les réseaux sociaux, que même des gens qui ne savent rien du dossier Charlie ont changé leur photo de profil en « Je suis Charlie ».

Je suis aujourd’hui triste de voir si peu de réactions à cet événement qui désole le Kenya. Un groupe terroriste somalien (les shebabs) a perpétré un massacre pour cause de religion. Un affreux et un monstrueux carnage : 148 morts à l’université de Garissa, dont 142 étudiants, tous tués pour avoir été chrétiens. Un lourd bilan par rapport au massacre de Charlie Hebdo (10 morts) et celui du musée de Bardo (20 morts) à Tunis. Cette indifférence traduit l’idée que, pour les silencieux et indifférents, l’extinction de la race africaine ferait du bien aux autres races de l’humanité dont nous sommes tous, quelles que soient nos différences.

upjf.org
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Outré d’une telle indifférence, je rappelle que l’espèce africaine est prolifique. L’espèce humaine l’est. Regarder tomber des Africains ou des gens d’autres nations sans dire mot, parce qu’ils ne sont pas de sa nation, c’est regarder s’écrouler tout un pan de soi, car il y a des milliers de nations, mais une seule humanité. L’eurythmie du monde ou de l’humanité entière doit dépendre de cette reconnaissance universelle que le monde est le bien de tous, non l’apanage d’une grande puissance. Cette reconnaissance doit être la négation des préjugés qui s’opposent à l’émancipation complète des uns et des autres.

Je suis Garissa.

Éliphen Jean


Le tourisme : un secteur économique porteur pour Haïti

haitilibre.com
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Le tourisme est un secteur économique vital pour Haïti. Promouvoir le tourisme haïtien, c’est contribuer à un développement socioéconomique durable. Haïti est une destination à allécher les étrangers. Dès lors, il est de bon ton d’encourager les entreprises et/ou initiatives touristiques, et de faire du tourisme un véritable secteur créateur d’emplois dans la perspective d’une nouvelle Haïti. La nouvelle Haïti est avant tout une Haïti en plein essor économique. Sans une politique de croissance durable, le développement s’avère difficile. Si le développement est caractérisé par la disponibilité d’un minimum pour assurer la survie et de services de base comme l’éducation ou la santé, il est impliqué véritablement la nécessité d’élargir l’éventail des possibilités d’emplois. À défaut d’emplois, les valeurs et normes sociales risquent d’être reléguées au second plan. Le rêve de la nouvelle Haïti risque d’être relégué parmi les chimères.

En effet, ce changement effectif dans la structure sociale et ce phénomène de transformation sociétale qu’est le développement, est utopique si l’Etat haïtien ne tient pas compte des besoins essentiels qui sont justement des facteurs de croissance économique. Tenir compte de ces besoins, c’est tenir compte, au moins, des critères suivants proposés par la PNUD:

-La productivité qui permet d’enclencher un processus d’accumulation ;
-La justice sociale : les richesses doivent être partagées au profit de tous ou le marché de l’emploi est ouvert à tous;
-La durabilité : les générations futures doivent être prises en compte (dimension à long terme du développement) ;
-Le développement doit être engendré par la population elle-même (nécessité de création d’emplois) et non par une aide extérieure.

Ce sont là aussi des mesures à prendre contre la pauvreté et la misère au gré de laquelle, la structure économique reste déséquilibrée, et l’organisation sociale déstructurée. La théorie des « besoins essentiels » met l’accent sur la notion de « manque ». En Haïti, les besoins fondamentaux de la masse populaire ne sont pas pris en compte (alimentation, sécurité, santé, éducation…).

Pour résoudre ou pallier les problèmes ici posés, il est nécessaire de s’investir dans un secteur inexploité, mais porteur, comme le tourisme. Le tourisme peut, dans l’ensemble des secteurs d’activités, générer un nombre d’emplois infinis. Pour comprendre cela, il faut, d’une part, tenir compte de tous les attraits touristiques, comme la mer, les montagnes, les patrimoines historiques etc. qui ont besoin d’un entretien permanent, et, d’autre part, de l’afflux de visiteurs étrangers. J’invite, ici, à comprendre que le tourisme risque d’être (s’il ne l’est pas encore) un poste excédentaire des échanges extérieurs. D’où une nécessité de création d’emplois, même par la population elle-même.

Par ailleurs, à tenir compte des chiffres publiés par le ministère du tourisme dans un communiqué de la mi-novembre 2014, le nombre de visiteurs étrangers peut s’estimer à plus de 362 980, à compter de janvier 2014. Un nombre de plus en plus croissant. Dès lors, dans le cadre d’une politique d’expansionnisme économique (où la croissance doit être systématiquement favorisée), l’Etat ne doit pas seulement promouvoir les belles plages, et ce paysage pittoresque d’Haïti. Il doit se soucier de tout un éventail historico-culturel haïtien. Haïti est une destination attractive qui a vraiment beaucoup à offrir aux étrangers. D’ailleurs, la Banque Interaméricaine de Développement (BID) a fait récemment un don de 36 millions US à seules fins de mettre en valeur et d’entretenir les ressources historico-culturelles et naturelles haïtiennes sur la côte sud du pays. Un don, à bien préciser, qui s’est inscrit dans le projet de création d’emplois.

zoomsurhaiti.com
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A la perspective de contribuer à un développement durable qui requiert une politique de croissance effective, l’Etat haïtien peut tabler sur les opportunités offertes par le secteur touristique où la population peut commercialiser les produits artistiques et artisanaux, où les talents comme poètes, slameurs, danseurs folkloriques, graffiteurs et peintres, peuvent se vendre pour vivre, grâce à l’appui, surtout promotionnel, de l’Etat. Les touristes ne sont pas venus passer seulement des jours en Haïti, mais aussi découvrir ce qui est substantiellement haïtien. Dès lors, il leur faut des guides et interprètes. Ils sont nombreux les jeunes interprètes amateurs et professionnels qui sont en quête d’emploi et qui, pour la plupart, ont des enfants à nourrir et élever. Dans cette optique, l’Etat pourrait bien, d’abord, réaliser une institution qui offre le service d’interprétariat. Ensuite, recruter ces interprètes. Les touristes sauront alors une institution à contacter, en cas de besoin.

Au-delà des opportunités liées au culturel, je pense qu’un programme d’éducation à l’écocitoyenneté est vital, et peut générer des emplois. Ils sont aussi nombreux les étudiants diplômés en sciences de l’environnement qui n’ont pas d’emplois et qui vivent déjà à leurs dépens. Un tel programme viserait à promouvoir un comportement responsable et civique à l’égard de l’environnement et à combattre ce que j’appelle les fléaux de l’environnement, caractérisés par la pollution et les nuisances. Un environnement mal entretenu ne peut que dégoûter les touristes. Les nuisances se définissent comme l’ensemble de facteurs d’origine technique (bruits, dégradations, pollutions, etc.) ou sociale (encombrements, promiscuité) qui nuisent à la qualité de la vie.

Vu cette ambivalence du tourisme haïtien caractérisée, dans cet article, par la visite massive des étrangers et cette gamme d’opportunités d’affaires et d’emplois, il est indéniable que la nouvelle Haïti est possible, si L’Etat et les organisations de la société civile s’investissent dans ce secteur.

Éliphen Jean


Cette jeunesse, voilà qui je suis

lionsurmer.com
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L’envie de croire, l’envie d’aimer,
l’envie d’être, l’envie de vivre
j’incarne tous les sentiments : triste, enthousiaste, passionnée, confiante, inquiète…

C’est comme disait Baudelaire qui en eût parlé mieux que quiconque.
« Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage
Traversé ça et là par de brillants soleils ! »

Je suis cette Jeunesse,

l’absolu me hante,
je me crois forte, si forte que tout me paraît possible
je suis insouciante, les obstacles de la vie ne me font pas peur
un mélange de bon sens, de non-sens, voilà ce que je suis encore

je m’enlivre et je m’enivre
je m’enivre de la substance des livres

C’est comme disait aussi Rimbaud :
« Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – on se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête… »

ivresses et vertiges
vestiges de rêves… je suis cette Jeunesse

la vie est presque synonyme de jeunesse
des jeunes qui naissent
des vieillards qui renaissent…qui s’en vont dans le sein de la terre
et qui disparaissent du visible
des vieillards qui redeviennent bébés

Je suis cette Jeunesse

Celle qui connaît des faiblesses, des blessures, des épreuves
cette Jeunesse qui agit malgré tout
et qui dit : « Je ne dois pas broncher devant les obstacles,
car je suis le fer de lance de ma nation. »

cette jeunesse qui espère malgré les espoirs déçus
et qui rêve parfois d’un rêve relégué parmi les chimères

je suis cette jeunesse qui refuse d’être adulte
car la vie me paraît trop belle…et les soucis moins lourds.

(extrait)

Éliphen Jean


Une jeunesse dans la rue…

Ils sont nombreux. Ils pourrissent dans les coins de rue, entre ordures hétéroclites et mares fangeuses. Ils chargent les camions à tous les carrefours servant de station de taxis et de voitures de transport en commun. Ils traînent à tous les coins de rue. Ce ne sont pas des va-nu-pieds, mais ils vont pieds nus partout. La plante de leurs pieds est éraflée, rayée, brûlée sur l’asphalte chaud, sous le soleil de midi. Ils sont tous abandonnés à leur triste sort. On les appelle comme on veut. Clochards. Voyous. Mendiants. Escrocs. Chenapans ou vauriens. Ils sont tous en loques, haillonneux ou dépenaillés. Quant à moi, je n’ignore pas qu’ils sont aussi des humains qui méritent une vie normale. J’aurais pu être d’ailleurs comme eux ou avec eux si mes parents m’avaient délaissé. Comme certains de ma génération, je pars du bas de l’échelle sociale que je gravis encore à une allure vertigineuse, non désespérante… Ils ne choisissent pas de vivre en marge de la société. C’est plutôt la société qui s’oppose violemment à eux.

Ces humains à la misérable existence, n’ont pas tous une même cause de misère. Certains sont délaissés de leurs pauvres parents et de parents pauvres. D’autres sont influencés par leurs compagnons de route, en revenant de l’école. Tous petits, ils font l’école buissonnière, ils déferlent en masse sur les places publiques. Il arrive que la plupart soient des orphelins qui empruntent la voie des sans-voix, faute de tuteurs.

Par ailleurs, on ne peut parler d’une jeunesse haïtienne, sans penser à cette couche sociale marginale, et prolifique, que rien n’empêche, selon moi, d’être majoritaire. Cette couche d’enfants de rue. Enfants disparus, pour la plupart, qui se retrouvent dix par rue, et qui, à dix pas, se ruent sur tout ce qui semble alléchant : un portefeuille égaré, par exemple.

hpnhaiticom
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Ils s’habituent à la misère du temps, à l’incommodité, à l’infortune, à la disgrâce. Ils s’aguerrissent au dénuement. Le trottoir sent le taudis. Abject. Sale. Fétide. Le soir, ils étalent leurs morceaux de carton sur le trottoir pour se coucher, en haillons ou torse nu. Les plus faibles n’ont pas de cartons. Au matin, ils quittent le trottoir, ils trottent par toutes les rues, ils s’en vont à leurs petits métiers. Sans se brosser. Sans se laver. La vie les appelle…ils s’en vont au hasard du temps.

Incroyable, mais on peut y croire. Ils savent s’aimer. Leur fraternité d’esprit est réelle. Leur esprit d’équipe aussi. Si seulement, nous pouvions tous nous aimer, au moins, de l’amour des enfants de rue… Haïti en a besoin.

Éliphen Jean


La TNJH sonne le glas…

elphjn01.mondoblog.org
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La jeunesse haïtienne s’affirme au jour le jour. Elle affirme son existence par des actions citoyennes. Ces actions témoignent, chez les jeunes, d’une prise de conscience qu’ils doivent être, chacun, un maillon d’une chaîne de solidarité. Alors, ils s’entraident. Ils s’entraident pour sauver Haïti. Ils reconnaissent que leur action est la moelle épinière de leur nation.

L’évidence est là. Elle saute aux yeux. L’Organisation de la Tribune Nationale de la Jeunesse Haïtienne (TNJH) vient d’organiser, ce samedi 28 février, sa cinquième assemblée générale en Haïti, au prestigieux hôtel Oasis. Des jeunes étaient venus de toutes parts. Car, le thème était ‘‘Jeunesse d’Haïti, Jeunesse de la diaspora, une seule jeunesse, une nation”. Et, sur leur Tribune, ils s’étaient bien fait entendre. De tant d’échos ont franchi les murs du silence.

Aujourd’hui plus que jamais, les jeunes n’ont pas besoin de barricades pour se faire entendre. Cette organisation se veut l’organe des sans-voix. Elle marque, comme beaucoup d’autres organisations, le début d’une ère nouvelle dans le cadre de la construction d’une nouvelle société. Elle évoque le tic-tac du métronome. Elle bat la mesure. Elle donne le signal d’un nouveau départ. C’est l’horloge nationale qui sonne le glas de la misère et des inquiétudes qui rongent l’esprit de la jeunesse. Inquiétudes liées aux marasmes socioéconomiques qui désolent leur pays.

La TNJH constitue, par ailleurs, un point de ralliement de toutes couches sociales. Elle invite à s’asseoir ensemble, se parler, s’écouter, et harmoniser les points de vue. Elle contribue à tisser les relations sociales à travers des rencontres, des causeries citoyennes, et d’autres activités y afférentes. C’est dans cette perspective, comme de coutume, elle a livré ses micros aux grandes personnalités suivantes :

M. Philippe Gérard Tardieu, PDG de l’Hôtel Royal Oasis et Membre d’honneur de la T.N.J.H
Honorable Valérie M. Cartright, conseillère municipale de la ville de Brookhaven, Long Island, Suffolk County, New York, membre d’honneur de la TNJH
Prof. Mirlande H. Manigat, ex Première Dame de la République
M. Daniel Gérard Rouzier, PDG de E-Power & SunAuto
M. Jacques Joël Orival, commissaire principal de Police de la commune de Pétion-Ville
M. Mario Andresol, ex commissaire de division, ex commandant en chef de la P.N.H
M. Pieriche Olicier, Ministre des Haïtiens Vivant à l’Etranger (MHAVE)
Mme Yvanka Jolicoeur, Mairesse de la commune Pétion-Ville, Haïti
M. Jimmy Albert, Ministre de la Jeunesse et des Sports.

Chaque intervention consistait dans un appel lancé à la conscience de la jeunesse. La jeunesse qui a besoin de repères.

Eliphen Jean


Ma banlieue

Ma banlieue est un dédale de couloirs noirs. Un dédale inextricable de ruelles, de rues frêles et de carrefours. Ma banlieue est un écheveau de fil brouillé par un chat affamé et diffamé, comme des chevaux embrouillés aux poils embroussaillés. Dans ma banlieue, des gens croient qu’on est que dalle, on ne dalle pas les cases, la misère nous écrase, la nourriture est rare chez tous même chez Richards…

Pourriture qu’on est aux yeux des uns et des autres, on naît odieux pour qui n’est pas des nôtres. Mais, à Dieu notre destinée, adieu discriminations. Chaque jour, plus de faim, plus de dix cris minent ma nation. Chaque jour on meurt de faim, demain on est défunt.

Ma banlieue est une bande de lieux malfamés. Lieux surpeuplés. Lieux de gens affamés. Lieux mal desservis où pour dessert on tue une vie. On asservit pour régner à vie. On tue, on torture. On tue à tort ceux qui vont à pas de tortue.

Ma banlieue est cette zone de la ville qui est au ban des lieux. Un canton populeux en marge de la ville. Quand on y est, on s’égare. Ma banlieue est fourmillante, on dirait des fourmis en hiver…

thenowinstitute.org
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My bro and sis, que six reste six, ne le change pas en dix. Frère, respecte les pères et les mères. Respecte minou qui ne miaule pas, notre p’tit chat par où nous voyons le jour. Minou poilu ou chauve, minou en chair de poule plumée… Si tu veux du changement, situe-toi parmi nous. Tutoie tes amis jeunes, vouvoie les plus âgés. Donne quand tu déjeunes, Tends la main charitable à qui pourrissent dans les coins de rue, entre ordures hétéroclites et mares fangeuses. Ils sont nombreux les miséreux…

Soyons compatriotes. Soyons compatissants. Soyons Haïtiens. Respectons-nous. Respectons les autres qui sont une part de nous. Ainsi, nous aurons tous une autre vie, une autre bande de lieux. Un jour, un concert d’amour en ces lieux aura lieu…

Éliphen Jean


Dans ma ville, après la pluie, c’est…

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À l’école, dans des manuels scolaires, on apprend toujours qu’après la pluie, c’est le beau temps. Alors que la réalité dit tout le contraire. On fait même croire aux enfants que les pluies sont pleurs des anges que le tonnerre effraie, ou que Dieu pisse sur nos têtes. On leur inculque n’importe quoi. On parle donc de la pluie et du beau temps, c’est-à-dire qu’on dit des banalités.

La réalité, quant à elle, ne ment pas. Après la pluie, c’est la boue. On patauge dans la boue. On a l’impression de jouer aux dames avec des détritus hétéroclites, dont les rues sont parsemées, pour la plupart. C’est ce que je vis dans ma ville, Cap-Haïtien. C’est aussi le cas de certaines autres régions d’Haïti.

Elle s’appelle Cap. Vous savez pourquoi ? Une ville qui s’avance dans la mer, et qui risque de s’y noyer à n’importe quel moment. Il n’est pas nécessaire que les pluies soient diluviennes pour que les quartiers populaires soient inondés. Rien que d’imperceptibles gouttelettes… Et, s’il pleut à seaux, c’est plutôt la mer qui s’avance dans la terre. La mer est presque au niveau du sol. On peut donc comprendre comment les habitants de cette ville, les Capois, risquent d’être des Jésus, sans magie et sans rituel.

minustha.com
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La ville de Cap-Haïtien est, en effet, en proie à des inondations permanentes. Permanentes, car il n’y a pas un bon système de canalisation. Les eaux restent stagnantes pendant longtemps, moyennant un bon soleil chaud. Heureusement qu’Haïti est un pays du soleil. Par ailleurs, je me demande si ce problème n’est pas lié à la mauvaise construction des maisons, et surtout à une surpopulation liée au dépeuplement des communes ou des campagnes qui se désertifient en conséquence. Les gens qui viennent des campagnes construisent comme ils veulent et où ils veulent. Ils doivent nécessairement trouver un endroit où construire. Ils construisent alors dans les ceintures populeuses de la ville, ils repoussent la mer. Comparez la mer à un sachet d’eau que vous pressez petit à petit dans vos mains… Vous comprendrez.

Enfin, on peut se demander pourquoi l’existence d’une mairie à Cap-Haïtien.

Eliphen Jean


Haïti et déperdition des valeurs

hpnhaiti.com
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La jeunesse haïtienne est pilotée par tout un éventail d’inquiétudes, de soucis et d’ambitions. D’une part, elle est rongée par le mal du pays en crises constantes, qui s’aggrave, empire considérablement. D’autre part, elle est obsédée par le désir ou le rêve légitime de quitter son pays ou plutôt son île. Ce rêve qui obnubile sa pensée, lui impose alors l’obligation de fouiner, comme moi parfois, sur le net en quête de bourses d’études. Dès lors, on est prêt à apprendre n’importe quoi, pourvu que ce soit hors de son pays. En effet, j’invite à comprendre qu’Haïti n’endure pas seulement une hémorragie de militants (militants détruits ou exilés pour causes politiques), mais aussi une hémorragie de valeurs. Et, cette hémorragie entrave beaucoup le développement du pays, puisque, selon moi, le développement d’un pays repose sur le capital humain.

Parler de l’hémorragie des valeurs dans un contexte aussi clair, c’est dire que les jeunes, pour la plupart, tendent totalement à échapper à leur milieu d’origine, à leur classe sociale. Avant de vouloir quitter le pays, ils sont, pour moi, des transfuges de premier degré (c’est-à-dire qu’ils changent d’abord de région ou de province en quête d’un mieux-être). Nombreux quittent leur province pour venir s’installer dans la capitale. Ils croient que la capitale possède les meilleures facultés d’Etat, et qu’il leur est plus facile de trouver un emploi. Ce qui est faux ! Les crises sont les mêmes partout. En outre, Port-au-Prince reste, pour moi, le théâtre des hostilités. Une ville trépidante où la vie s’imagine toujours péjorativement comme quelque chose de volcanique. Je pose donc ici une notion sociologique, celle de « transfuge de classe ». Celui qui est né dans un milieu social va vivre adulte dans un tout autre milieu social. Qui plus est, on ne pense pas toujours à retourner à son milieu d’origine. Je dois préciser que les cas les plus fréquents sont ceux de mobilité sociale ascendante par la voie scolaire.

Normalement, il appert que cette fuite constante de valeurs et de cerveaux qui contribue à maintenir le pays dans la cavité amniotique du sous-développement, dans l’aventure et le chaos, témoigne aussi du non-respect des droits fondamentaux inhérents à l’Haïtien, précisément aux jeunes. Les jeunes aspirent à une éducation de qualité. Ils ont besoin de se nourrir et de se vêtir convenablement. Ils ont besoin d’électricité pour étudier etc. Ils ont besoin de professeurs dans leur salle de classe aux heures de cours. Ils ont besoin d’espérer d’un ferme et juste espoir de réussir, non désespérément ou contre leur gré. Dans ce cas, l’Etat leur doit une assistance tant sociale qu’économique. Il faut qu’il y ait une politique à résorber le chômage. Ils sont nombreux les parents qui se trouvent involontairement privés d’emploi. Ceux qui se disent employés ou travailleurs ont, pour la plupart, un salaire grotesquement disproportionné à leurs besoins socioéconomiques, et surtout à ceux de leurs enfants.

En effet, les conditions sociales actuelles sont jugées incapables de répondre adéquatement aux standards sociaux. D’où une situation de problème social, et l’opinion de la collectivité la considère ainsi. Cette situation est considérée comme telle, car le décalage entre les normes et les conditions factuelles ou réelles de la vie sociale est nécessairement perçu comme corrigible, et la population doit croire qu’elle peut y remédier. À cet effet, l’Etat doit jouer efficacement son rôle qui est, avant tout, d’améliorer les conditions d’existence du peuple. Sans le respect des droits fondamentaux et sans poser le problème social, la cohésion sociale reste davantage compromise. Et, selon moi, c’est en posant un regard pluriel et holistique sur la réalité sociale que l’Etat parviendra à suturer, à un certain niveau, les relations sociales. Sans quoi, l’inquiétude des jeunes par rapport à leur avenir catalysera toujours cette hémorragie dont, je le précise, seul le respect de leurs droits fondamentaux constitue le garrot ou l’hémostase.

En fonction de ces analyses, les jeunes qui représentent, pour moi, le fer de lance de la nation, méritent l’assistance réelle et honnête de l’Etat. L’assistance de l’Etat, comme le respect des droits de la jeunesse, est le baromètre de la confiance juvénile. J’invite à comprendre ici que dans la perspective d’une nouvelle Haïti, il est vital d’accompagner les jeunes et de tabler sur leurs potentialités. Les problèmes sociaux qui requièrent, par ailleurs, l’emploi des moyens symboliques, économiques et techniques de l’action sociale, doivent être aussi perçus comme provenus de plaintes de la jeunesse. Ils régissent, dans un certain contexte, l’optique des grèves et revendications populaires. Toutefois, la seule référence à des faits objectifs ne suffit pas à jeter les bases de l’émergence d’un problème social. La dimension subjective des problèmes sociaux est tout aussi importante. C’est la dimension des valeurs dont la question est aussi centrale dans l’analyse des problèmes sociaux.

En définitive, cet article tend à sensibiliser à la complexité de l’analyse des problèmes sociaux, car il faut prendre en considération une multiplicité de points de vue. Cette analyse veut un regard sur les conditions objectives, les conditions subjectives, les conflits de valeur, les processus de construction sociale. Un regard aussi sur les diverses formes ou modalités de l’intervention sociale et de prise en charge des problèmes sociaux qui renvoient, pour l’anthropologue français Louis Dumont, à des jugements de valeur, c’est-à-dire à des normes collectives. De mon côté, je pose les problèmes sociaux comme des revendications légitimes, le plus souvent basées sur l’énoncé d’un droit particulier. Cette légitimité appelle de par des lois au respect des droits fondamentaux. Et, ce respect est de satisfaire, dans une certaine mesure, aux revendications légitimes des jeunes que je perçois comme des valeurs en extinction, à défaut même de ce respect.

Éliphen Jean